Bataillon de marche
long.
L’assistance frissonna. On ferma la fenêtre et tout le monde revint dans le salon. Le lieutenant jouait toujours.
Le légionnaire se tourna vers les gendarmes qui étaient livides.
– Lequel d’entre vous a tiré sur la file que voilà ? dit-il en montrant le cadavre d’Anna qui gisait dans une mare de sang.
L’Oberfeldwebel bavait ; il cilla vers le petit blédard puis il hocha la tête en murmurant d’une voix tremblante.
– J’ai appuyé sur la détente, je ne l’ai pas fait exprès, croyez-moi.
– Nous te croyons parfaitement, mais ça ne ressuscitera pas Anna. Et elle désire ta compagnie au jardin d’Allah. – Il regarda Heide et Barcelona. – Descendez-le dans la cour, derrière le tas d’ordures. Les chiens enragés doivent être supprimés.
– Volontiers ! ricana Heide. Viens, petit.
Ils disparurent. Tout le monde écoutait. Le lieutenant avait cessé de jouer. Ce fut long, on n’entendait que notre respiration. Petit-Frère et Porta eux-mêmes se taisaient. Il y eut enfin une demi-douzaine de coups de fusil mitrailleur, puis un P 38 claqua.
– Amen ! dit Porta en levant une bouteille de cognac jusqu’à sa bouche.
Tout le monde suivit son exemple. Ce fut une furieuse beuverie.
Les Russes avaient percé tout le secteur sud du front. Alte fit sa jonction avec la troisième armée roumaine à laquelle nous étions détachés.
Les ordres furent brefs : reprendre le combat et tenir la position.
Le fou rire faillit nous prendre. Toute une armée était en déroute, huit divisions en fuite, et il fallait qu’une section composée d’éléments de toutes les armes tînt la position !
– Vous allez vous battre ? demanda une des filles.
– Contre toi, répondit Porta en la renversant sur le sol.
Le Vieux engueulait, Petit-Frère buvait, le lieutenant hongrois jouait toujours. Barcelona et Heide tiraient au fusil mitrailleur sur un chat. Le légionnaire et moi écoutions les histoires d’une fille.
– J’ai déjà entendu ça pas mal de fois, dit le légionnaire en se préparant à sa prière quotidienne, c’est-à-dire en déroulant le petit tapis qu’il portait autour de sa taille.
La fille ricana mais les larmes succédèrent au rire. Le légionnaire l’avait giflée du revers de la main.
– On ne rit pas des choses sacrées.
Il s’agenouilla et se pencha dans la direction de La Mecque.
PETIT-FRERE ET LE CONSEIL DE GUERRE
LA fête continuait. Nous en avions presque oublié la guerre et tout ce qui se passait au nord-est de la ville. Le front entier venait de craquer. Des colonnes de fuyards bouchaient sur toute sa longueur la route stratégique, un ramassis de soldats qui arrivaient par vagues des positions du front vers les passes de Kunduk.
Au-delà du fleuve, plusieurs régiments étaient coupés par les divisions légères russes. D’autres fuyards refluaient de Kisinov, emportés par une panique folle. En tête, couraient les artilleurs qui avaient abandonné leurs pièces intactes.
Dispersés dans cette cohue se voyaient les pionniers et les fantassins ; ici et là, on découvrait des soldats de chars. Des réserves fraîches, envoyées pour boucher les trous, étaient à leur tour gagnées par la contagion et jetaient leurs armes.
Comment avait-elle commencé, la panique ? Comme bien des fois auparavant. Un petit nombre de T34, pour remonter le moral de quelques fantassins russes, avait dû s’enfoncer dans les premières lignes allemandes qui étaient comme toujours très faibles. Les chars s’étaient retrouvés sur la route stratégique, tiraillant de tous côtés, et quelqu’un avait crié :
– Nous sommes encerclés ! Sauve qui peut ! Les chars d’Ivan sont sur la route.
Et puis, tout avait commencé. Une seule idée hantait tout le monde : éviter l’encerclement et la capture. Coûte que coûte, être du côté ouest du cercle des chars.
Ce furent des nouvelles catastrophiques qui arrivèrent aux états-majors. La compagnie de T34 devint, dans l’imagination des soldats affolés, des bataillions, des régiments, des divisions. Un capitaine assura que la 5 e armée russe tout entière perçait le front, ce qui était une impossibilité matérielle, car le gros des blindés était au repos et pansait ses blessures de l’autre côté de Kertz. Ce capitaine donna l’ordre de brûler tous les documents gekados et de faire sauter tous les véhicules sauf un, celui) qu’il emprunta pour prendre la
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