Bataillon de marche
sale Français lui faisait peur. Dire que les Allemands l’acceptaient parmi eux !N’importe qui pouvait voir que c’était un tueur.
– Olga, tu aimes bien les gars de la Stapo ?
Le légionnaire souriait ; cependant, quelque chose dans sa voix résonna désagréablement aux oreilles d’Olga. Elle rétrécit ses paupières et le regarda, prise d’un mélange de haine et de terreur.
– Qu’est-ce que tu veux insinuer, à présent ? Je travaille depuis vingt-cinq ans et je n’ai jamais rien fait de déshonorant.
Le légionnaire souriait toujours.
– Déshonorant ? – Il appuya sur le mot. – J’ai rencontré une fois un homme à la Légion ; le type était de mon groupe et nous nous battions en Syrie du Sud. Il venait de Paris. Il n’avait rien fait de déshonorant, disait-il, mais un jour le grand Danois, le sergent Hansen, a trouvé un journal. Et voyez donc ? Dans le journal il y avait la photo de notre type. On le recherchait. Il avait tué un enfant. C’était un enfant qu’il battait depuis longtemps, mais une nuit le petit garçon pleurait vraiment par trop, alors il a serré le cou de l’enfant jusqu’à ce qu’il ne pleure plus. Et puis le type avait filé et était venu chez nous, mais Allah permit à ce journal de tomber entre les mains du grand Danois, et le sale type est parti chez Allah avec un couteau dans le dos. Ce couteau-là ! – Le légionnaire montra à la femme livide le couteau maure effilé. Il eut un rire de gorge. – C’était en 40-41. A ce moment-là, vous autres, vous aviez la visite des gars de Staline. Lorsque tu as rafraîchi ton Russe, tu étais liée avec les types de la N. K. V. D. ?
– Où veux-tu en venir avec ces sornettes ? cria Olga, les yeux fous.
Elle avait complètement oublié qu’elle était nue comme un ver.
Le légionnaire se passa la main sur le visage et ce fut comme s’il effaçait son sourire. Un froid de glace rayonnait de sa personne. Le silence dans le salon tomba comme un suaire. Seule, la musique du lieutenant résonnait en sourdine.
– Ça va, Olga. As-tu jamais entendu parler du 2 e Etranger ? La fierté de Tunis ? C’était nous, avec le drapeau vert. Nous pendions à ce drapeau les ennemis du peuple. Que faites-vous ici, au bord de la mer Noire ?
– Nous les pendons aussi ! cria Nelly. Et celle-là est une des pires. Elle nous a achetées à la Gestapo. On a eu le choix entre le bordel et le camp spécial.
– C’est vrai ! cria une autre fille. C’est un monstre. Elle a des bordels à Bucarest et à Serajevo. On nous a prises un peu partout en ville ; pour les juives, c’était le bordel ou la chambre à gaz, et elle pouvait nous expédier au camp si on ouvrait la bouche. Elle a fait envoyer cinq filles à Ravensbrück le mois dernier ; elle a étranglé Desa de ses propres mains avec un bout de fil de fer. La Gestapo la voyait tous les jours ; elle partageait le bénéfice avec le Hauptsturmführer Nehri.
Porta saisit Olga à la gorge pendant que Petit-Frère lui piquait les fesses avec sa baïonnette. Elle poussa un hurlement de douleur.
Le lieutenant dégradé jouait furieusement, frappant les touches de ses poings. Penché en avant, il en avait perdu son calot et la sueur coulait de son front pâle. La musique cessa un instant puis devint un crescendo sauvage en une cascade de sons déchaînés… Cette musique démente nous rendait fous. Porta lança un verre de cristal contre le mur. Petit-Frère saisit une bouteille de vodka, cassa le goulot de sa baïonnette et versa le contenu dans sa bouche grande ouverte. Il vacillait. Ses yeux s’injectaient de sang. Il fixa Olga et lui envoya la bouteille à la figure mais, d’un prompt réflexe, la femme esquiva le dangereux projectile… La vodka lui jaillit au visage.
Petit-Frère se mit à rire :
– Tu es leste, Olga. Si je t’avais attrapée dans la gueule, tu serais maintenant au ciel !
Elle nota son haleine qui puait l’alcool, ses mots brûlaient de méchanceté. Il n’y avait aucun doute, ces hommes étaient capables du pire. Et soudain, elle eut peur, très peur. Elle chercha Alte des yeux. Celui-là peut-être était possible. Elle courut vers lui qui restait muet sur sa chaise et fumait.
– Monsieur ! Parlez-leur raison, je vous en prie. Ils sont fous ! Monsieur, il faut que vous m’aidiez, j’ai de l’argent, je vous paierai, je fermerai mes maisons. On m’a forcée à tenir des bordels, aidez-moi !
Le Vieux
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