Belle Catherine
montaient des gémissements, des plaintes. Et, cependant, la jeune femme, vaincue par ses émotions, finit par trouver le sommeil. Elle rêva qu'elle se trouvait seule, sur une route nue et inondée de soleil. La route était rouge comme un fer passé au feu, mais elle s'y jetait à corps perdu parce que, loin devant elle, cheminait la silhouette d'Arnaud. Il portait -son armure noire et marchait d'un pas qui semblait lent et régulier. Pour le rattraper Catherine courait, courait, mais, inexorablement, le chemin s'allongeait toujours, la silhouette diminuait, diminuait. Catherine essayait de crier, mais sa voix ne pouvait franchir ses lèvres...
Elle s'éveilla en sursaut, vit qu'il faisait nuit maintenant, mais que des centaines de cierges brûlaient devant l'autel qu'ils enveloppaient d'une gloire dorée. Là-haut, dans la tribune, des voix profondes chantaient le Miserere. La foule reprenait en chœur. Sara, qui priait auprès de Catherine, tourna les yeux vers elle. Mais son regard franchit la tête de la jeune femme et brilla soudain. Elle se leva.
— Viens, dit-elle. On nous attend...
Sur le parvis, Catherine et Sara retrouvèrent Gauthier et Anselme l'Argotier qui les attendaient. Le ciel bleu de la journée s'était chargé avec le crépuscule de lourds nuages d'orage. Hors des murs de la cathédrale, la chaleur était accablante. S'y mêlait l'odeur lourde des fumées. Un peu partout, on brûlait des herbes aromatiques et même des parfums en même temps que les cadavres. Toute la ville sentait l'encens et la mort, mais un silence de tombeau l'enveloppait comme un suaire, si profond que Catherine, impressionnée, n'osa parler. Elle souffla :
— Où allons-nous ?
— Au quartier des tanneries, répondit Gauthier de la même façon. Notre seule chance est de franchir la grille qui ferme la rivière. Anselme, et moi, nous sommes assurés qu'elle n'est pas gardée.
La petite troupe quitta l'ombre blanche de la cathédrale pour s'enfoncer dans le dédale des vieilles rues. Parfois, en passant devant une porte, on surprenait au vol des bribes de prière ou bien l'écho d'un sanglot.
Bientôt, on fut en bas de la colline, près de la rivière le long de laquelle s'alignaient les tanneries et les fou- leries.
Anselme, qui marchait en tête, l'oreille au guet, s'arrêta auprès d'un petit pont en dos d'âne et désigna, un peu plus loin, la porte étroite creusée dans la muraille de la ville, et, bien entendu, soigneusement fermée.
— La poterne Tire-Veau ! chuchota-t-il. La grille est en dessous !
En effet, sous la poterne, un bras de la rivière traversait une grille épaisse pour gagner le fossé.
— Il faut descendre dans l'eau, dit Gauthier. Je vais desceller un barreau pour que nous puissions passer.
Heureusement, la poterne n'est pas gardée. La muraille est trop haute à cet endroit.
Anselme sortit quelque chose de long de ses vêtements et le lui tendit.
— Voilà la lime. Maintenant, bonne chance et que Dieu vous protège !
— Vous ne venez pas avec nous ? s'étonna Catherine.
Elle devina plus qu'elle ne vit le sourire et la pirouette de l'étrange bonhomme.
— Non, belle dame, encore que j'en aie eu envie. Mais j'ai mes habitudes ici.
— Mais... La peste ?
— Bah ! La peste passera ! Et j'espère bien être au nombre des survivants.
Un salut profond et déjà il s'éloignait, remontant la ruelle à grands pas silencieux. Gauthier était descendu dans l'eau et Catherine pouvait entendre le bruit léger de la lime attaquant le barreau. Heureusement, une petite chute d'eau, tout auprès, en couvrait la majeure partie, mais elle ne put s'empêcher de frissonner. Ces barreaux semblaient énormes et Gauthier, accroché à la grille à cause de la profondeur d'eau, travaillait dans des conditions difficiles. Mais il y mettait une sorte de rage froide.
Catherine n'avait rien dit à Sara de son aventure de l'après-midi. Elle en éprouvait une gêne, comme d'une action honteuse, et puis, pour rien au monde, elle n'aurait voulu lui raconter ce qui s'était passé entre elle et le Normand. Sara aurait poussé les hauts cris, juré qu'elle s'y attendait et que Catherine avait eu une fière chance d'être respectée par lui.
Pourtant, de cette expérience, la jeune femme sortait réconfortée, rassurée même. Elle avait acquis la certitude que Gauthier l'aimait. Mais elle avait également mesuré l'étendue de son pouvoir sur lui et la scène de tout à l'heure demeurait entre eux
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