Belle Catherine
comme un secret commun. Jamais elle n'en parlerait à quiconque ! Peut-être, parce qu'un instant elle avait éprouvé la fugitive tentation de s'abandonner à cette passion qu'elle devinait.
Au bout d'une heure, Gauthier, haletant et trempé, remonta sur la berge. Un barreau, coupé et tordu, laissait un passage suffisant. Son regard fit le tour du petit quai, toujours aussi désert, revint aux deux femmes.
— Vous savez nager ?
Toutes deux hochèrent affirmativement la tête, encore qu'il y eût bien des années qu'elles ne se fussent livrées à cet exercice. Il faisait par ailleurs trop chaud pour que l'idée d'un bain fût désagréable. Prenant une brusque décision, Catherine ôta sa robe.
— Que fais-tu ? chuchota Sara scandalisée. Tu ne penses pas...
— Me déshabiller ? Si. Je vais faire un paquet de mes vêtements et les porter sur ma tête. C'est la seule façon de ne pas les mouiller.
— Mais... Cet homme ? ajouta la gitane avec un regard inquiet en direction de Gauthier qui était déjà redescendu dans l'eau.
Catherine haussa les épaules.
— Il a mieux à faire qu'à me regarder ! répliqua-t-elle. Tu devrais bien en faire autant.
— Moi ? Plutôt mourir...
Et Sara, dignement, se laissa glisser à l'eau tout habillée. L'instant suivant, Catherine s'y coulait à son tour. Son corps n'avait brillé que le temps d'un éclair sur la berge et elle avait fait de ses vêtements un gros paquet retenu sur sa tête grâce aux lacets de la robe. La fraîcheur de l'eau lui parut délicieuse. Elle s'y étendit avec bonheur et se laissa porter vers la grille où attendait Gauthier. La forme mince de la jeune femme s'insinua sans peine dans la brèche ouverte. Dans l'eau, elle faisait une grande tache claire, confuse mais pleine de grâce que l'onde un peu trouble habillait à peine. C'était peut-
être pour éviter de subir son charme que Gauthier, quand Catherine passa près de lui, avait fermé les yeux. Il ne les rouvrit que lorsqu'un léger bruit de roseaux froissés lui apprit que la jeune femme avait trouvé un abri contre les regards indiscrets.
Une semaine plus tard, peu avant le coucher du soleil, Catherine, Sara et Gauthier Malencontre arrivaient en vue du château de Champtocé et s'arrêtaient un moment pour contempler le spectacle. C'est qu'aussi la plus puissante forteresse de l'Anjou valait la peine d'être regardée. Onze tours formidables sur lesquelles flottait une longue bannière dorée timbrée d'une croix noire et de fleurs de lys, des courtines de granit reflétées par les eaux verdâtres d'un étang calme, puis, jusqu'à l'horizon, le moutonnement vert sombre d'une forêt. Un peu en retrait, tassé au pied de la motte seigneuriale, l'habituel rassemblement de toits bleus ou roux du village. Mais Catherine trouva qu'il y avait, dans le ramassis peureux du petit bourg, moins de confiance que de crainte. C'était autour du mince clocher de son église que se serrait Champtocé, comme pour se garer de l'ombre écrasante du fort château. De ces tours, muettes et noires, érigées sur le bleu foncé du ciel, Catherine sentait suinter la tristesse, ainsi qu'une imprécise menace. Une brusque envie de fuir s'empara d'elle et sans doute Sara, avec ses sens aiguisés de fille des grands chemins, ressentit-elle la même impression désagréable.
— Allons-nous-en ! souffla-t-elle comme si même le son de sa propre voix l'effrayait.
— Non, dit Catherine doucement mais fermement. C'est ici que je dois retrouver Arnaud, c'est ici que je dois aller.
— Tu vois bien que la reine Yolande n'est pas là. Son étendard serait sur le château et je n'y vois pas la moindre bannière royale, insista Sara.
— Pourtant, intervint Gauthier, j'y vois des fleurs de lys.
Mais Catherine, qui fixait le château d'un air préoccupé, hocha la tête.
— Quand il l'a nommé maréchal de France, le roi Charles a accordé permission à messire de Rais de porter à ses armes une bordure fleurdelysée. Les autres bannières doivent être celles du sire de Craon, son grand-père. De toute façon, que la Reine soit ou non à Champtocé, il nous faut y entrer.
Et, résolument, la jeune femme poussa sa mule en direction de la grosse barbacane qui défendait le grand pont de la forteresse. Les autres durent suivre, bon gré, mal gré. Ces mules étaient, comme une bonne partie des bagages qui chargeaient la mule de bât, un don de maître Jacques Boucher, le riche bourgeois d'Orléans chez qui
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