Ben-Hur
craignez rien. Le cheik Ilderim pourra témoigner qu’à l’heure même où vous vous êtes déclarés mes esclaves, je vous ai rendu la liberté ; ce que je vous dis maintenant, je le ratifierai par écrit. Cela vous suffit-il ? Est-il encore quelque chose que je puisse faire pour vous ?……
– Fils de Hur, dit Simonide, tu nous rends la servitude légère. Je me trompais, tout à l’heure, car il est quelque chose que tu ne saurais faire, tu ne peux nous libérer légalement. Je suis ton esclave à toujours, je suis allé, avec ton père, devant sa porte, et la marque du poinçon se voit encore à mon oreille !
– Mon père a fait cela !
– Ne le juge pas. Il m’accepta comme esclave parce que je le lui demandai avec instance, et je n’ai jamais regretté de l’avoir fait. Ce fut le prix que je payai pour Rachel, la mère de ma fille que voici, pour Rachel qui refusait de devenir ma femme, à moins que je ne consentisse à partager sa condition.
Ben-Hur s’était levé. Il parcourait la chambre à grands pas : il souffrait de ne pouvoir réaliser son désir.
– J’étais riche déjà, dit-il en s’arrêtant tout à coup. J’étais riche, grâce à la générosité de l’excellent Arrius, et maintenant voilà qu’une fortune nouvelle m’échoit en partage et avec elle, celui qui l’a gagnée. N’y a-t-il pas dans tout ceci un dessein de Dieu ? Conseille-moi, Simonide, aide-moi à me montrer digne du nom que je porte, et ce que tu es envers moi, légalement, tu ne le seras jamais en réalité.
Le visage de Simonide rayonnait.
– Ô fils de mon maître défunt, je ferai plus que de t’aider ! Je te servirai de toutes les forces de mon cœur et de mon intelligence. Je n’ai pas de corps à mettre à ta disposition ; il a été brisé au service de ta cause, mais ma tête et mon cœur travailleront pour toi, je te le jure par l’autel de Dieu et par le sacrifice qui est sur l’autel ! Daigne seulement me confirmer dans la charge que j’ai remplie jusqu’ici.
– Tu es dès aujourd’hui mon intendant ; dois-je te le certifier par écrit ?
– Ta parole me suffît, comme celle de ton père me suffisait. Et maintenant, si l’entente est parfaite entre nous… Simonide s’arrêta.
– Elle l’est, pour ce qui me concerne, dit Ben-Hur.
– Alors parle pour toi, fille de Rachel, reprit Simonide, en dégageant son épaule de la main qui s’y appuyait encore.
Laissée ainsi à elle-même, Esther resta un moment immobile ; elle pâlissait et rougissait tour à tour et semblait hésiter à parler. Enfin elle s’avança vers Ben-Hur et lui dit, avec une grâce et une dignité singulièrement touchantes :
– Je ne suis pas autre chose que ce qu’était ma mère, et comme elle est partie, je te prie, ô mon maître, de me permettre de continuer à prendre soin de mon père.
Ben-Hur la prit par la main et la ramena auprès du fauteuil de l’invalide, en disant :
– Tu es une bonne fille. Ton désir t’est accordé.
Simonide entoura Esther de son bras, et pendant un moment tous restèrent silencieux.
CHAPITRE XXVII
Quand Simonide releva la tête, il avait repris la physionomie d’un homme habitué à commander.
– Esther, dit-il tranquillement, la nuit s’avance ; de peur que nous n’ayons plus la force de parler des choses qui nous restent encore à discuter, fais-nous apporter des rafraîchissements.
Elle agita la sonnette. Une servante entra, portant du pain et du vin, qu’elle offrit à la ronde.
– Il y a encore entre nous, mon maître, un point obscur que je désire éclaircir, reprit Simonide. Dorénavant, nos vies s’écouleront comme des rivières qui se sont rejointes et dont les eaux se sont mêlées. Je crois que le cours en sera meilleur, si tout vestige de nuage est balayé du ciel qui s’étend au-dessus d’elles. Quand tu quittas ma porte l’autre jour, je paraissais décidé à nier tes droits, ceux-là même que je viens de proclamer ouvertement, mais en réalité, il n’en était pas ainsi. Esther est témoin que je t’avais reconnu et Malluch te dira que je ne t’abandonnai point.
– Malluch ! s’écria Ben-Hur.
– Lorsqu’un homme est comme moi, cloué à sa chaise, il faut qu’il emprunte les mains des autres pour faire mouvoir le monde, auquel il a été si cruellement arraché. Je possède ainsi quelques fidèles émissaires, et Malluch est l’un des meilleurs.
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