Ben-Hur
l’exception d’un seul, qu’il conserva entre ses mains, et les offrit à Ben-Hur. Il n’y avait rien d’offensant dans la fierté de ses manières ; elle pouvait provenir du sentiment d’un devoir noblement accompli, comme il était possible aussi qu’elle n’eût rien de personnel et qu’il l’éprouvât, pour ainsi dire, au nom du jeune homme.
– Et il n’est rien, ajouta-t-il en le regardant, il n’est rien que tu ne puisses tenter désormais.
Comment Ben-Hur supporterait-il cette fortune immense qui tout à coup lui tombait en partage ? Ils se le demandaient tous : Esther semblait anxieuse, Ilderim donnait des signes d’agitation, seul Simonide restait impassible, les mains croisées sur sa poitrine. Enfin Ben-Hur se leva, pâle d’émotion.
– Tout cela est comme un rayon de lumière envoyé d’en-haut pour dissiper la nuit qui m’entourait et qui me paraissait si longue, que je craignais déjà de ne jamais revoir le jour, dit-il d’une voix entrecoupée. J’en rends grâce, tout d’abord, à l’Éternel, qui ne m’a point abandonné, puis à toi, ô Simonide ! Ta fidélité surpasse la cruauté des autres, elle rachète les faiblesses de notre nature humaine. Il n’est rien, dis-tu, que je ne puisse tenter, désormais. Me laisserai-je dépasser en générosité, au moment où ce privilège m’est accordé ? Sers-moi maintenant de témoin, cheik Ilderim. Écoute les paroles que je vais prononcer, afin de t’en souvenir. Et toi, Esther, toi le bon ange de cet homme excellent, prête-moi l’oreille.
Il tendit ses deux mains au marchand, en s’écriant :
– Toutes les choses énumérées dans ces papiers, reprends-les, toutes, les vaisseaux, les maisons, les marchandises, les chameaux, les chevaux, l’argent. Je te les rends, – les petites comme les grandes, ô Simonide ; elles t’appartiendront, et aux tiens après toi, à perpétuité.
Esther souriait au travers de ses larmes ; les yeux d’Ilderim, brillaient comme des escarboucles ; Simonide seul conservait son calme.
– Je te confirmerai le don que je t’en fais, reprit Ben-Hur, qui redevenait plus maître de lui, – je ne fais qu’une exception et je ne te poserai qu’une condition.
Les cent vingt talents qui appartenaient à mon père me reviendront – la figure d’Ilderim s’éclaircit considérablement – et voici ma condition : tu te joindras à moi pour essayer de retrouver ma mère et ma sœur, tu n’épargneras rien pour les faire découvrir.
Simonide, très ému, leva la main en s’écriant :
– Je vois de quel esprit tu es animé, fils de Hur, et je bénis le Seigneur de ce qu’il t’a conduit vers moi et de ce qu’il t’a fait tel que tu es. J’ai servi fidèlement ton père durant sa vie, ne crains pas que j’en agisse autrement envers toi ; cependant je dois te dire que la manière dont tu disposes de ta fortune ne peut être prise en considération. Tu n’as point vu tous mes comptes : prends ce dernier feuillet, il contient rémunération de ce qui t’appartient encore. Lis à haute voix, je te prie.
Ben-Hur prit le feuillet et lut, ainsi que Simonide le lui demandait :
« Énumération des esclaves de Hur, faite par Simonide, intendant.
1° Amrah, Égyptienne, gardant le palais de Jérusalem ;
2° Simonide, intendant à Antioche ;
3° Esther, fille de Simonide. »
Jamais, lorsqu’il songeait à la position de Simonide, la pensée qu’une fille participait légalement à la condition de ses parents, n’avait abordé Ben-Hur. Toutes les fois que le doux visage d’Esther traversait ses rêveries, elle se présentait à lui comme une rivale possible de l’Égyptienne, et il se demandait laquelle des deux il aimerait. La révélation qui venait de lui être faite lui causait une étrange répugnance ; il sentait ses joues devenir brûlantes et la jeune fille, toute rougissante, baissait ses yeux devant les siens. La feuille de papyrus qu’il avait laissée tomber, s’était roulée sur elle-même, sans qu’il songeât à la relever ; il tourna la tête vers Simonide et reprit :
– Un homme qui possède six cents talents est riche, en vérité, et peut faire ce qu’il lui plaît, – mais l’esprit qui a su amasser une fortune pareille vaut bien davantage encore, et rien ne saurait payer le cœur qu’une prospérité telle que la tienne n’a pu corrompre. Ô Simonide, et toi, belle Esther, ne
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