Berlin 36
l’enveloppe, déclara d’une voix assurée :
— Ce geste me touche profondément. Comment pourrais-je vous être utile ?
— Nous avons besoin de votre caution morale à l’heure où des voix s’élèvent pour appeler au boycott des Jeux de Berlin. Dans ce contexte, nous souhaiterions que vous adressiez un message radiodiffusé à l’Allemagne sur le thème de l’olympisme moderne et un autre aux athlètes qui vont se relayer pour transporter la flamme d’Olympie jusqu’à Berlin. J’ai moi-même eu cette idée qui devrait devenir une tradition.
— J’y consens, dit le vieil homme en souriant. Ce seront là mes derniers discours.
— Serez-vous présent à la cérémonie d’ouverture ?
— Je crains que ma santé ne me le permette pas. J’étais déjà absent en 1928 à Amsterdam et, en 1932, à Los Angeles…
Carl Diem ne s’avoua pas vaincu. Il lui fallait convaincre le baron de participer, d’une façon ou d’une autre, à la grande fête qui allait être organisée à la gloire du III e Reich. Il revint à la charge :
— D’après M. Lewald, votre candidature pour le prix Nobel de la paix est en bonne voie. En plus du prestige lié à cette distinction, les cent soixante mille couronnes suédoises attribuées au lauréat vous seront bien utiles.
— En effet, soupira Pierre de Coubertin. Mais, à ma connaissance, d’autres noms circulent…
L’Allemand balaya l’air du revers de la main.
— Ne vous en faites pas. Vous serez notre unique candidat !
— L’amitié de l’Allemagne m’honore.
— Pour en revenir à la cérémonie d’ouverture, ne pourriez-vous pas au moins enregistrer votre discours ? Nous le diffuserions avant le début du défilé.
— Cela me convient parfaitement.
Carl Diem sourit. Certes, son interocuteur n’était pas vénal, mais il se trouvait dans une telle indigence qu’il était prêt à tout accepter pourvu qu’on le sortît de cet état.
— Je vous remercie de votre aimable collaboration, conclut-il en se levant pour prendre congé.
— Faites part au chancelier Hitler de mon admiration la plus sincère. Il est en train de devenir le chef de la nouvelle Europe et, bientôt peut-être, le chef du nouveau monde qui se lève.
— Je n’y manquerai pas !
Carl Diem s’emmitoufla dans son imperméable noir et sortit. Le baron Pierre de Coubertin le regarda s’éloigner sous la pluie en palpant avec soulagement l’enveloppe qui gonflait sa redingote.
19
Où l’on voit Goebbels assister à un match de boxe
opposant un Aryen à un Noir
Joseph Goebbels aimait le silence à la fin d’une symphonie, ce moment magique où l’auditoire conquis savoure les dernières notes encore suspendues dans l’air avant d’applaudir. Cette répétition de l’hymne olympique de Richard Strauss, à laquelle il avait tenu à assister pour ne rien laisser au hasard, était concluante. « Le gars sait composer », se dit-il en songeant à l’effet que l’oeuvre aurait sur le public le jour de l’ouverture des Jeux. Il appréciait le talent de Strauss qui l’avait d’ailleurs soutenu dans l’affaire Furtwängler-Hindemith 1 , mais le compositeur manquait de caractère et était tombé en disgrâce pour avoir tenu des propos imprudents à l’égard du régime dans une lettre à son ami Stefan Zweig – encore un Juif ! – interceptée par la Gestapo et pour avoir commandé à ce librettiste autrichien le livret de son nouvel opéra Die schweigsame Frau … Alors qu’il sortait de la Philharmonie, un artiste aborda Goebbels, le sourire aux lèvres. Le ministre ne le salua pas : d’après un rapport confidentiel, l’énergumène entretenait une liaison avec un journaliste connu. Or, Goebbels ne supportait pas les homosexuels et n’hésitait pas à les faire arrêter sur la base de l’article 175 du Code pénal qui punissait cette « déviance ». Un mois plus tôt, un grand procès de moeurs s’était tenu à Berlin et avait conduit à la condamnation de plusieurs prêtres catholiques pour immoralité, malgré les protestations de l’Eglise, outrée par ce qu’elle considérait comme un complot. « Ce pédé ne perd rien pour attendre », songea-t-il en s’engouffrant dans sa voiture.
— Où va-t-on ? lui demanda son chauffeur.
— A la maison. Le match de boxe opposant Max Schmeling au Nègre va bientôt commencer.
La Mercedes démarra et prit la route menant à la villa du ministre à Schwanenwerder,
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