Berlin 36
paupières, c’est qu’il ne connaît pas de censure. » Et il rêva, toute la nuit, qu’elle se donnait à lui.
1 - Chef de l’Orchestre philharmonique de Berlin et directeur de la Berliner Staatsoper, Furtwängler avait pris la défense du compositeur Paul Hindemith, victime de la censure nazie en raison d’une oeuvre considérée comme « culturellement bolchevique ». Le 3 décembre 1934, Goebbels l’informa que le Führer attendait sa démission. Furtwängler obtempéra le lendemain.
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Où l’on voit Hitler congratuler le boxeur aryen
Dès qu’il pénétra dans la Chancellerie du Reich, en compagnie de sa mère et de sa femme, Max Schmeling frémit. Ce n’était certes pas la première fois qu’il rencontrait Hitler – le Führer, qui aimait frayer avec les sportifs et les artistes, l’avait déjà invité à dîner –, mais il se sentait, cette fois-ci, investi d’une lourde responsabilité. Depuis sa victoire sur Joe Louis, toute la presse le présentait comme l’archétype du sportif aryen capable de terrasser les ennemis du nazisme. Il n’avait pas choisi ce rôle : il n’avait jamais adhéré au parti et son propre entraîneur, Joe « Yussel » Jacobs, était juif. Mais il lui semblait que les événements le dépassaient, qu’il était, malgré lui, récupéré, instrumentalisé, par la propagande nazie, prisonnier de son succès : rentré triomphalement en Allemagne à bord du dirigeable Hindenburg , il avait été accueilli par une foule en liesse qui brandissait des drapeaux à croix gammée. Comment ne pas jouer le jeu ?
L’ Obergruppenführer Wilhelm Brückner l’accueillit et l’introduisit dans un salon où se trouvaient Hitler, Goebbels, le photographe officiel Heinrich Hoffmann et le chef de la Chancellerie, Philipp Bouhler.
— Au nom du peuple allemand, je vous félicite, commença le Führer, vêtu d’un uniforme kaki orné d’un brassard frappé de l’emblème nazi. Vous êtes l’exemple même de l’Aryen viril et conquérant !
— Je n’ai fait que mon devoir, bredouilla Max Schmeling, très impressionné.
— Prenez place, fit Hitler en désignant des fauteuils disposés autour d’une grande table basse.
Tandis qu’Anny Ondra passait près de lui, il lui glissa en souriant :
— Asseyez-vous donc près de votre mari, gracieuse dame. Il a dû vous manquer !
Se tournant vers la mère de Max, il ajouta :
— Vous avez toutes les raisons d’être fière de votre fils, madame. L’Allemagne l’est également !
Frau Winter servit aussitôt du thé et des gâteaux.
— J’ai suivi le combat à la radio dans le train qui me menait à Munich, enchaîna le Führer, s’adressant à Max Schmeling. Avez-vous senti, avant le quatrième round, que vous étiez sur le point de terrasser le Nègre ?
— Je m’étais bien préparé, répondit Schmeling. Et j’ai senti que les projecteurs gênaient Joe Louis. Ses yeux larmoyaient, il clignait sans cesse des paupières. Monsieur le Chancelier, je vous ai apporté les articles parus dans les journaux américains à propos de ma victoire.
Il sortit d’un dossier des coupures de presse que le Führer se mit à parcourir avec avidité bien qu’il ne comprît pas l’anglais.
— Dommage que nous n’ayons pas de film de ce match historique, soupira-t-il.
— Le film existe, mein Führer. J’ai prévu dans mon contrat une clause obligeant les organisateurs à filmer le combat. Mais la copie se trouve toujours à la douane, à l’aéroport de Tempelhof…
Le visage d’Adolf Hitler s’épanouit.
— C’est merveilleux, s’exclama-t-il. Qu’on l’apporte sur-le-champ !
Se tournant vers Brückner, il lui ordonna de faire le nécessaire.
— Le film est-il destiné à votre propre usage ? demanda Goebbels qui, jusque-là, concentrait toute son attention sur l’épouse du boxeur, assise en face de lui, magnifique dans sa robe blanche à manches courtes et son étole de vison.
— Vous pourrez le projeter si vous le souhaitez, Herr Doktor , répondit Max. Il est libre de droits !
— Votre victoire tombe à point nommé, dit alors le ministre. Vous illustrez parfaitement notre idée de suprématie de la race aryenne ; vous êtes un exemple pour nos athlètes qui se préparent pour les prochains jeux Olympiques. Savez-vous que tous les hôtels de Berlin et de ses environs sont complets à quelques jours de l’ouverture des Jeux ?
— Quand j’ai voulu agrandir le
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