Berlin 36
en grognant de plaisir.
— Voyez, voyez comme il est affectueux, murmura le général, attendri. Je ne…
Il n’acheva pas sa phrase.
— Scheisse !
Charles Lindbergh réprima un sourire : le lionceau venait de pisser sur Göring.
29
Où Jesse Owens prend ses quartiers
au village olympique
Le village olympique de Dallgow-Döberitz ressemblait à un vaste parc : des animaux flânaient en liberté au milieu de la nature, des cascades coulaient sous des passerelles en bois et des parterres de fleurs étaient disséminés çà et là. Alors que les filles étaient hébergées dans l’austère Friesian House située à proximité du stade, les hommes étaient logés là, dans des chambres confortables dotées d’une salle de bains et équipées d’un chauffage central, et bénéficiaient de locaux adaptés à leurs besoins : stade d’entraînement, salles de massage, sauna, ring de boxe, gymnase, bassin nautique, terrains de basket-ball, sans oublier une quarantaine de restaurants… Pour se distraire, ils se voyaient proposer toutes sortes de concerts et d’activités culturelles ; une salle de cinéma, un théâtre, un music-hall et une bibliothèque se trouvaient même à leur disposition. Le premier jour, Jesse Owens fit la connaissance d’un nageur brésilien nommé João Havelange 1 et d’un grand nombre de sportifs venus du monde entier. Les Italiens étaient les plus exubérants : ils chahutaient sans cesse et ne dormaient pas avant l’aube. Le soir, il nota dans son journal :
Le premier jour au village a été très intéressant. L’endroit est attrayant, belle pelouse, bon éclairage. J’y ai rencontré de nombreux étrangers. La plupart d’entre eux parlent un peu d’anglais. J’ai fait quelques exercices et j’ai vu à l’oeuvre plusieurs athlètes qui m’ont beaucoup impressionné…
Puis il se coucha, bercé par la musique de Louis Armstrong, diffusée par le gramophone de son voisin Frank Wykoff, grand amateur de blues et de jazz.
Quelques jours plus tard, on annonça la visite de Max Schmeling au village. La nouvelle suscita l’enthousiasme des sportifs, ravis d’approcher l’un des plus grands boxeurs de l’époque. Jesse Owens ne l’avait jamais rencontré, mais lors du match qui, un mois plus tôt, avait opposé Joe Louis à l’Allemand, il avait prédit la victoire de ce dernier sur son compatriote. Schmeling arriva, flanqué d’une douzaine de policiers censés le protéger contre des admirateurs trop expansifs. Vêtu d’un costume noir, l’homme avait de la superbe. Son regard de velours, d’épais sourcils charbonneux et un sourire irrésistible lui donnaient l’air d’un acteur hollywoodien. Mais sa forte stature, son front bombé, un oeil encore tuméfié rappelaient qu’on était en présence d’un cogneur. Dès qu’il vit Jesse Owens, Max s’avança vers lui et le salua d’une poignée de main, une poignée de main de boxeur, franche et vigoureuse.
— J’ai entendu beaucoup de belles choses à votre propos, lui dit l’Allemand.
— Et moi donc ! répondit Jesse avec un large sourire.
— Espérez-vous remporter une médaille d’or ?
— Vous êtes bien pessimiste, s’esclaffa l’Américain. Une médaille d’or est un minimum. Si je suis en forme, j’espère en décrocher deux ou trois !
Max Schmeling sourit d’un air condescendant et lui donna une tape amicale sur la joue. En le voyant s’éloigner, escorté de ses sbires, Jesse se dit que, pour magnifique qu’il fût, ce sportif était le jouet des nazis.
Le lendemain, Jesse Owens se leva de bonne heure. Il enfila son survêtement, gagna la cantine, avala deux oeufs, du bacon et un toast, puis monta à bord du bus qui devait conduire l’équipe des Etats-Unis jusqu’au stade olympique. Il salua un à un ses camarades noirs David Albritton, John Woodruff, Cornelius Johnson, Ralph Metcalfe, Archie Williams, Mack Robinson et Ellison Brown, alias « Tarzan », et leur souhaita bonne chance. Assis à l’avant, Lawson Robertson fit mine de ne pas le reconnaître.
— Dans combien de temps y serons-nous ? demanda Jesse en s’installant à côté de Dave.
— Quarante-cinq minutes.
— Comment te sens-tu ?
Le visage de son ami se crispa. Bien qu’il eût établi un record du monde de saut en hauteur lors des sélections, ex-aequo avec son compatriote Cornelius Johnson, le jeune homme était en proie au doute.
— J’ai le trac, Jesse, un
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