Berlin 36
caméras capables de filmer à une telle distance.
— Et pourquoi n’avez-vous pas construit une tour spéciale à côté de la tribune ?
— Tout simplement parce que vous l’avez refusé !
A ce moment précis, Goebbels s’aperçut que son rival, le général Göring, avait fait son apparition dans la tribune d’honneur, tout de blanc vêtu, Charles Lindbergh à son côté.
— Votre caméra se trouve juste devant son siège, grogna le ministre de la Propagande. Il va encore me reprocher de l’avoir fait exprès !
Alerté par les sanglots de Leni Riefenstahl, le général s’approcha.
— Que se passe-t-il, Leni ?
— Le Dr Goebbels pense que ma caméra va vous obstruer la vue. Il veut que je la démonte à quelques minutes du début de la cérémonie…
Göring haussa les épaules.
— Allons, Leni, ne pleurez plus, gloussa-t-il. Ne vous en faites pas pour moi : je trouverai bien le moyen de caser mon gros ventre !
Au son des trompettes, Adolf Hitler pénétra dans le stade, pareil à un empereur romain, escorté par une cour formée de dignitaires étrangers, dont les princes d’Italie, de Grèce et de Suède, le roi de Bulgarie et les fils de Mussolini. En uniforme, arborant la croix de fer sur sa vareuse et un brassard à croix gammée au bras gauche, le Führer portait une casquette militaire et des bottes comme s’il allait à la guerre. La foule en délire l’ovationna. Le bras à demi levé, la main légèrement inclinée vers l’arrière, il répondit au salut des spectateurs. Au rythme de la marche de Tannhäuser de Richard Wagner, il se dirigea vers la tribune présidentielle, flanqué du comte Henri de Baillet-Latour – portant redingote et haut-de-forme, la poitrine barrée par la chaîne olympique en or –, et des membres du Comité d’organisation. En chemin, une fillette blonde lui offrit un bouquet. C’était Gudrun, la fille de Carl Diem. Il lui caressa les cheveux, se pencha vers elle, lui dit quelques mots à l’oreille et prit les fleurs qu’il remit à son aide de camp. Puis il gagna sa place, dans la loge présidentielle. Dès qu’il fut installé, retentit le Deutschland über alles , suivi par l’hymne nazi Horst-Wessel-Lied , repris en choeur par cent mille personnes debout, le bras levé.
Tandis que les drapeaux des quarante-neuf nations participantes – l’Union soviétique et l’Espagne avaient choisi de boycotter les Jeux – étaient hissés aux mâts, ordre fut donné aux sportifs de se tenir prêts pour la parade. Les athlètes grecs ouvrirent la marche avec, à leur tête, le vieux berger grec, Spiridon Louys, vainqueur du marathon d’Athènes en 1896, bientôt suivis par les autres délégations, appelées par ordre alphabétique : Egyptiens en tarbouche, Afghans en turban, Australiens en casquette de cricket, Chinois en chapeau de paille… Coiffés d’un béret basque, les sportifs français, menés par le lanceur de poids Jules Noël, exécutèrent maladroitement le salut olympique 1 . Le confondant avec le salut nazi, la foule surexcitée les applaudit et se mit à scander : « Frankreich ! Frankreich ! » Leni Riefenstahl fronça les sourcils, surprise par un tel débordement d’affection. Vint le tour des Italiens. Arrivés devant la tribune officielle, ils firent le salut romain, ce qui, une fois de plus, provoqua l’enthousiasme des spectateurs. Les athlètes américains entrèrent enfin en piste, par rangées de huit, coiffés d’un canotier, vêtus d’un blazer bleu et d’un pantalon blanc pour les hommes, de longues jupes pour les femmes. Leni braqua sur eux ses caméras. Quelle attitude allaient-ils adopter ? Arrivé devant la loge de Führer, le gymnaste Alfred Joachim ne baissa pas la bannière étoilée comme le voulait la tradition. Ses coéquipiers se découvrirent et, le chapeau sur le coeur, firent le salut militaire. L’Allemagne, en sa qualité de pays hôte, clôtura le défilé, avec des officiers en uniforme brandissant un drapeau frappé de la croix gammée, suivis d’un grand nombre de sportifs tout de blanc vêtus. La foule exulta.
Theodor Lewald annonça alors qu’on allait entendre la voix de Pierre de Coubertin. La courte allocution du baron, enregistrée à Lausanne sur un mauvais disque, résonna dans le stade subitement silencieux :
« L’important aux jeux Olympiques n’est pas d’y gagner, mais d’y prendre part ; car l’essentiel dans la vie n’est pas tant de
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