Berlin 36
regarda dans les yeux.
— Tout ce que tu voudras, ma chère.
— Je voudrais te demander de convaincre tes camarades de répéter cette nuit, à l’identique, les épreuves de saut à la perche que je n’ai pu filmer aujourd’hui…
Il fronça les sourcils.
— Tu es sérieuse ? A l’heure qu’il est, mes copains se défoulent au dancing. Il est hors de question que je les ramène au stade !
— Je sais que toi seul peux les convaincre, Glenn, murmura-t-elle en se collant contre lui. Fais-le pour moi !
L’Américain réfléchit un moment. Rendre service à la cinéaste pouvait lui permettre de figurer en bonne place dans son film. Pour la suite de sa carrière, une telle publicité n’était pas négligeable.
— Ok, Leni, dit-il enfin en lui faisant signe de le suivre. Je le ferai pour toi !
Ayant rejoint le dancing, Glenn Morris ameuta ses camarades. Il eut le plus grand mal à les extirper des bras des filles qui papillonnaient autour d’eux, mais ils finirent par céder pour ne pas le contrarier. Toute la nuit, à la lumière de puissants projecteurs, ils répétèrent devant les caméras les mêmes performances que la veille. Leni exulta : les images étaient superbes, bien servies par l’éclairage. Ralentis, gros plans, contre-plongées… rien ne fut laissé au hasard.
— Merci, Glenn, je te dois une fière chandelle, dit-elle à son décathlonien qui commençait à prendre plaisir à jouer devant une caméra.
— De rien, Leni. Quand pourrais-je visionner les séquences ?
— Demain soir, répondit-elle en inscrivant sur un bout de papier l’adresse de son studio de montage.
Elle se mordit les lèvres et ajouta d’un air espiègle :
— J’ai de belles choses à te montrer !
Très vite, la salle de montage se transforma en baisodrome. Leni et Glenn firent l’amour partout, sur la table, contre le mur, se roulèrent par terre au milieu des rubans de pellicule… Surexcitée à l’idée d’être surprise à tout instant par ses techniciens, l’Allemande poussait des cris sauvages, lui griffait le dos, lui mordait le cou ; en bon décathlonien, l’Américain multipliait les prouesses sexuelles.
Quand enfin, à bout de forces, elle se dégagea pour se rhabiller, la cinéaste se dit avec satisfaction que de tous les films de sa vie, celui de son idylle avec Glenn était le plus intense.
15
Où la fête organisée par Goebbels tourne à l’orgie
L’île des Paons – la Pfaueninsel – scintillait de mille feux. Cette réserve naturelle considérée comme « la perle de la Havel » était située au milieu du lac de Wannsee, non loin de la Schwanenwerder. Elle avait servi autrefois de laboratoire à l’alchimiste Kunckel qui y avait inventé un verre rouge baptisé « Rubinglas », et abritait un château construit au XVIII e siècle par Frédéric-Guillaume II pour sa maîtresse, la comtesse Wilhelmine von Lichtenau, et transformé par son fils en résidence d’été. Dans le parc à l’anglaise qui entourait le monument, plusieurs constructions fantaisistes retenaient l’attention : la maison suisse, la maison cavalière de Schinkel, la laiterie déguisée en ruine médiévale… Vestige d’une ménagerie datant de 1822, une volière accueillait une cinquantaine de paons majestueux. Vêtu d’un costume croisé de gabardine blanche, Goebbels affichait un sourire radieux : il faisait beau, la fête s’annonçait merveilleuse. Les pontonniers de la Wehrmacht avaient jeté une passerelle de bateau pour relier l’île au continent et, comme des hallebardiers, faisaient la haie d’honneur, la rame levée, au passage des invités. Les vieux arbres étaient illuminés par des milliers de lampions bleus et des myriades de globes d’or ; trois orchestres, disséminés dans le parc, interprétaient de la musique classique. L’intérieur du château, de style néoclassique, était splendide, avec ses peintures, ses moulages et ses parquets marquetés en bois précieux : les convives s’y pavanaient en tenue de soirée en admirant les danseuses de l’Opernhaus de Berlin qui évoluaient au milieu d’un décor réalisé par Benno von Arent. Le ministre de la Propagande avait invité le prince des Pays-Bas, le couple royal de Grèce, le prince italien Umberto, le roi de Bulgarie, des diplomates, des personnalités du monde culturel, les hauts dirigeants nazis, mais aussi plusieurs de ses anciens compagnons d’armes, qui s’étaient
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