Berlin 36
absolument gagner cette médaille d’or. A défaut de dénoncer Hitler à la radio, il pouvait toujours exprimer son rejet des nazis en refusant de tendre le bras sur le podium !
*
Le 9 août à 11 heures, Werner Seelenbinder arriva au Deutschlandshalle. Il enfila son maillot décolleté – composé d’une pièce unique allant du torse aux cuisses – et descendit dans l’arène. Il avait encore face à lui trois concurrents. « Une place sur le podium, songea-t-il en serrant les poings, c’est tout ce que je désire. » Confronté au Suédois Axel Cadier, l’Allemand n’arriva pas à prendre le dessus sur son adversaire. Il eut beau multiplier les prises, rien n’y fit. Au bout de vingt minutes, constatant qu’aucun des deux lutteurs n’avait réussi à vaincre l’autre, les juges délibérèrent et donnèrent l’avantage au Suédois, privant ainsi Werner de la médaille tant convoitée. L’Allemand se laissa choir sur le tapis et demeura un moment à genoux, interdit. Ce qui le rendait amer, c’était moins la défaite que l’occasion manquée de manifester son opposition au régime.
— C’est la première fois que je suis heureux de te voir perdre, murmura son père en l’accompagnant jusqu’aux vestiaires.
— Pourquoi dis-tu cela ? maugréa le lutteur avec dépit.
— En perdant ta médaille, tu as sauvé ta peau.
13
Où l’on voit Jesse Owens et Helen Stephens
remporter la course de relais
Larry Snyder consulta sa montre. Il était 16 h 30, en ce 9 août 1936, quand Jesse Owens foula la piste pour participer au 4 × 100 mètres. Il prit position au départ du premier relais, derrière l’Italien Mariani et l’Allemand Lelchum.
— Fertig !
Le coup de feu retentit. La main droite crispée sur le témoin, Jesse Owens prit son envol, fila comme une flèche, négocia le virage avec souplesse, reprit cinq mètres à Mariani et passa le bâton à Ralph Metcalfe qui, de sa foulée de géant, creusa l’écart. Foy Draper, puis Frank Wykoff parachevèrent la course : le quatuor américain termina avec douze mètres d’avance sur ses concurrents italiens. Euphorique, Larry Snyder lança son chapeau en l’air et embrassa tous les Américains qu’il trouva autour de lui. Ayant repris ses esprits, il consulta le tableau d’affichage : 39 secondes 8/10. « Record du monde 1 ! » jubila-t-il en serrant une inconnue dans ses bras.
Acclamé par la foule, Jesse leva les yeux au ciel. Il avait remporté sa quatrième médaille d’or et établi le huitième record du monde de sa carrière. Il se revit enfant, à Oakville, courant dans les champs de coton. Que de chemin parcouru depuis !
— Qui de nous quatre montera sur le podium ? demanda Ralph Metcalfe, l’arrachant à ses rêveries. Je propose Frank, c’est sa troisième médaille d’or au relais en trois participations aux JO !
— Non, c’est ton tour, champ, répliqua Jesse. Tu l’as bien mérité !
« L’Express du Michigan » monta sur la première marche du podium. Dans la loge présidentielle, Hitler secoua la tête, furieux de cette nouvelle victoire américaine acquise grâce à deux… Noirs. Pour ne pas le mécontenter, Avery Brundage avait écarté ses deux coureurs juifs. Aux yeux du Führer, l’initiative était louable. Mais fallait-il qu’il les remplaçât par des « Nègres » ?
En fin d’après-midi, Helen Stephens fit son entrée sur la piste avec ses trois coéquipières et commença à s’échauffer.
— Nous devons faire aussi bien que les hommes, leur dit-elle en applaudissant pour les stimuler.
— Tu courras en dernier, décida Dolores « Dee » Boeckmann, une ancienne championne chargée de l’entraînement de l’équipe féminine. Les Allemandes sont redoutables et l’ultime 100 mètres sera décisif !
Les filles prirent position sur la piste sous le regard attentif du Führer. Le coup de feu retentit bientôt. L’Allemande Emmy Albus prit un mauvais départ, mais réussit à dépasser ses concurrentes. Elle passa le témoin à Kathe Krauss qui le transmit à son tour à Marie Dollinger. Debout dans le troisième couloir, Helen Stephens se dit alors que les carottes étaient cuites : l’avance de l’équipe d’Allemagne était si confortable qu’il eût fallu un miracle pour renverser la situation. Et le miracle se produisit ! Ilse Doerffeldt, la dernière coureuse allemande, fit tomber le témoin que Dollinger venait de lui transmettre.
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