Borgia
vous voulez, j’ouvre les cadenas de vos chaînes et vous êtes libre…
– Je ne vous comprends pas…
– Je vais m’expliquer, reprit César d’une voix haletante. Cette jeune fille… Béatrix… vous l’aimez ?…
– Je l’aime !…
La main de César se crispa sur son poignard. Mais il se contint.
– Et elle… répondez… elle ?…
– Que voulez-vous dire ?
– Je veux savoir si elle vous aime…
– Ah çà ! monseigneur, s’écria Ragastens, dans l’œil duquel passa un éclair soudain, qu’est-ce que cela peut vous faire ?…
César avança d’un pas. Il sentait gronder en lui un de ces accès de fureur qui le transformaient en bête fauve incapable de raisonner même sa haine.
– Tu parleras, gronda-t-il, oubliant toute la diplomatie qu’il avait arrangée, tu parleras !… Je veux savoir !
Ragastens se ramassa pour quelque terrible effort. Une pensée subite venait de jeter en lui un espoir fou.
– Monseigneur, dit-il froidement, vous vous êtes trompé… Vous ne saurez rien… La vérité, je veux en emporter le secret dans le puits où vous allez me faire jeter !
– Misérable ! rugit César. Elle a été à toi !… Tu es mort !…
À l’instant, il se rua sur Ragastens, le poignard levé. Ragastens, qui attendait ce mouvement, vit venir le coup. D’un geste foudroyant, il se redressa et saisit le poignet de César.
Les chaînes semblaient ne plus lui peser.
César chercha d’une saccade furieuse à se dégager. Mais l’autre main de Ragastens s’abattit sur son cou. Il sentit des doigts de fer entrer lentement dans sa gorge.
– Je te tiens ! dit Ragastens la voix rauque de joie.
Il y eut une lutte d’une demi-minute. D’une main, Ragastens tordait le poignet de César, tandis que de l’autre, il faisait craquer les muscles de son cou. César lâcha d’abord le poignard, puis s’abattit sur les genoux.
L’étreinte continua. Il y eut un râle. Puis tout à coup, César tomba sur le sol, sans signe de vie.
Fébrilement, Ragastens le fouilla.
Brusquement, il eut un sursaut de joie insensée et il étouffa un rugissement : sa main venait de rencontrer, dans la ceinture de César, une petite clef de fer…
Il l’approcha du cadenas qui bouclait son poignet gauche. En quelques secondes, les quatre cadenas furent ouverts. Ragastens, alors, se pencha sur César.
– Il en reviendra, murmura-t-il… Si j’avais l’âme d’un Borgia, l’occasion serait belle… Quel service je rendrais peut-être à l’humanité en achevant ce que mes doigts ont commencé… Bah !… Ce n’est pas mon affaire.
Tout en parlant, Ragastens avait détaché la ceinture de César et la ceignait autour de ses reins. Puis il mit sur sa tête la toque de velours noir, habituelle coiffure du fils du pape. Enfin, il s’empara de son manteau et s’en enveloppa.
– Il me semble, fit-il en riant, que je fais un César assez présentable.
Il jeta un dernier regard sur Borgia toujours évanoui, et se dirigea vers la porte. À ce moment, il se frappa le front et revint tout à coup sur ses pas.
Il se baissa et, pendant une minute, se livra à un singulier travail, au cours duquel on eût pu entendre remuer les chaînes. Quand Ragastens se releva, il éclata d’un rire silencieux : il venait de rattacher les quatre chaînes en fermant à clef les cadenas sur les poignets et les chevilles de César Borgia, enchaîné dans la situation exacte où Ragastens se trouvait un quart d’heure auparavant !…
Ragastens sortit de la cellule. À droite, le couloir, vaguement éclairé par la torche qui continuait à brûler dans le cachot, se prolongeait de quelques pas seulement.
Ragastens aperçut au pied du mur qui barrait le couloir de ce côté, un trou circulaire. Il s’en approcha.
– Ah ! ah ! fit-il en frémissant, voilà le puisard en question ! Corbacque !… César Borgia ne manque pas d’imagination… Moisir là-dedans !… C’était décidément une fière canaille que j’avais choisie pour me protéger.
Il s’éloigna avec un geste d’horreur et de dégoût.
À gauche, le couloir se prolongeait pendant une quinzaine de pas, jusqu’au pied d’un escalier de pierre dont Ragastens aperçut les premières marches vaguement éclairées. Il s’y dirigea vivement et commença à monter.
Tout à coup, une lumière apparut, Ragastens arrivait au haut de l’escalier. Là, un homme, un geôlier se tenait debout, une lanterne sourde
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