Borgia
à la main.
Enveloppé dans le manteau de César, les doigts crispés sur le manche du poignard, Ragastens marcha droit à l’homme. Celui-ci s’était courbé en deux.
– Monseigneur désire-t-il que je l’éclaire ? demanda-t-il.
Ragastens ne souffla pas mot et s’enfonça dans le deuxième escalier.
L’homme, persuadé que Monseigneur voulait être seul puisqu’il n’avait pas daigné répondre, n’avait pas bougé de place.
Au bout du deuxième escalier, il n’y avait personne. Ragastens respira. Il n’y avait plus qu’un étage à monter… Un escalier encore, et c’était la liberté…
Ragastens monta… Mais il n’avait pas franchi trois marches qu’il s’arrêta, la sueur de l’angoisse au front. Quelqu’un descendait l’escalier, tournant, assez étroit.
Ragastens, immobile, attendit. Le meurtre répugnait à sa nature fine, mais il y allait de sa propre vie… Si celui qui descendait le reconnaissait, c’était un homme mort !
Bientôt, Ragastens aperçut la lueur d’une lanterne qui venait au-devant de lui et se projetait sur les murs. Presque aussitôt, le visiteur inconnu apparut. Le chevalier avait rabattu sa toque sur ses yeux et remonté le manteau jusqu’au nez.
– Mon frère ! exclama sourdement une voix.
Ragastens leva les yeux.
– Une femme ! murmura-t-il… Lucrèce !
Le mouvement qu’il fit découvrit un peu son visage. Lucrèce le reconnut. Elle dissimula un geste de stupéfaction. Puis, avec un sourire narquois, elle dit :
– Je crois que c’est M. le chevalier de Ragastens ?
– Lui-même, madame…
En même temps, Ragastens tira du fourreau le poignard et s’apprêta à mourir en tuant le plus possible d’adversaires, au cas où la duchesse appellerait du monde.
– Et je crois que vous vous sauvez, mon cher monsieur ? reprit Lucrèce revenue de sa surprise.
– Madame, je m’ennuyais dans le taudis où monsieur votre père m’avait fait loger…
– Et vous éprouviez le besoin d’aller respirer au grand air ?…
– Juste, madame !… Et puis, j’avais une visite à faire, que je me reprochais d’avoir tant reculée…
– Une visite ? À qui ?… À la route de France ?
– Non, madame, à vous !
– À moi ?…
– Hélas ! Madame, la fatuité est grande de ma part… mais je me figurais que vous ne pouviez avoir oublié le rendez-vous que vous me fîtes l’honneur de me donner au Palais-Riant… Je vois, madame, à votre front sévère, que vous m’en voulez de n’être pas venu le soir même… Pardonnez-moi… Monsieur votre père m’avait trouvé une occupation qui, vraiment, m’a empêché…
– Et vous veniez chez moi ? reprit Lucrèce stupéfaite de tant de calme et d’aisance.
– Je vous l’ai dit, madame…
Lucrèce réfléchit quelques secondes.
– Eh bien, venez, fit-elle tout à coup.
– Je vous suis, madame.
Lucrèce le regarda dans les yeux.
– Je dois vous prévenir, chevalier, qu’au haut de cet escalier se trouve le corps de garde, où il y a un officier et vingt hommes, tant pertuisaniers qu’arquebusiers… qu’après le corps de garde, il y a la cour d’honneur à franchir, et vous risquez d’y rencontrer des curieux… Après la cour d’honneur, il y a encore un poste à franchir, une porte à vous faire ouvrir… Seul, vous ne ferez pas dix pas sans être reconnu et arrêté… Enfin, je dois vous dire aussi qu’une fois hors du château, si par hasard une nouvelle occupation pressante vous obligeait à remettre la visite que…
– Oh ! madame, interrompit sérieusement le chevalier, du moment que vous me faites l’honneur d’accepter mon escorte jusqu’à votre palais, il n’est pas d’occupation au monde qui puisse m’engager à vous fausser compagnie, pas même le besoin d’échapper à l’amitié mortelle des Borgia !…
Lucrèce tressaillit. « Celui-là est un homme ! » pensa-t-elle. Et elle répéta :
– Venez !
Comme l’avait dit la duchesse, il y avait au haut de l’escalier un corps de garde. Elle ouvrit la porte et entra en s’appuyant sur le bras de Ragastens. L’officier qui commandait le poste avait jeté un commandement ; les vingt soldats alignés, dans une attitude raide de respect, appuyés sur leurs armes, s’étaient rangés sur deux files.
– Ah ! mon frère, disait Lucrèce à haute voix, je suis heureuse de vous avoir rencontré… Décidément, ces souterrains me font peur… Je renonce à
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