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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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et
noir, Willard avait deux grands yeux en soucoupe, un bec géant et un ventre
tout rond. En règle générale, Willard échouait dans un coin, croisant ses
longues jambes effilées, le corps penché en avant dans une position à la
Ichabod Crâne. Une mimique qui, curieusement, faisait penser à une posture
caractéristique de Richard.
    « Tu as beaucoup manqué à Richard », articulait
Price avec son accent le plus stupidement sudiste. « Richard, à toi de
t’occuper à nouveau de Willard. »
    Le but du jeu consistait à abandonner Willard dans
l’appartement de l’autre. Et Willard de se retrouver dans les toilettes de
Richard, dans son four, ou encore déposé à la dernière minute sous la bâche de
la camionnette de Price.
    A la longue, ce drôle de « Colin-Willard » devint
entre eux un jeu systématique et plutôt élaboré.
    Le café de Price était le point de départ d’un autre de
leurs numéros. J’avais déjà fait l’expérience de cette décoction, et
j’appréciais les efforts de Richard pour en décrire les effets. Lui qui était
pauvre n’utilisait que du café instantané. Mais Price, lui, préparait du sheeperder’s coffee, utilisant les marques les plus fortes, comme
l’Expresso italien ou le Yuban. Price jetait le café moulu dans l’eau
bouillante puis laissait infuser. Il rafraîchissait ensuite d’une pluie d’eau
froide, et soufflait l’écume avant de verser. Café électrifiant garanti. Car
Price l’Extravagant avait la main lourde. Richard en avalait une gorgée, puis
en étudiait les effets sur son système nerveux. « La plupart des cafés
vous remettent sur pied et vous donnent envie de passer à l’action. Le café de
Price vous épingle sur la chaise à l’écoute de vos nerfs en train de
frire », disait-il. « Tu sais quoi, Price, je crois que mon roman, ce
matin, je vais l’attaquer, non pas à la machine à écrire, mais à la
hache. »
    Le café agissant sur mon organisme, j’ai laissé Richard et
Price à leurs gags rituels, et je me suis dirigé vers la salle de bains. La
baignoire de Brautigan était maculée d’une tache de rouille en forme de larme,
sous le robinet. La biographie de Baker sur Hemingway traînait dans les
toilettes, un poster des Beatles brillait au-dessus du papier toilette sur l’un
des murs, une lettre de Grove Press sur l’autre, un relevé de droits d’auteur
attestant de la vente de 743 exemplaires du Général sudiste de Big Sur. Ce
que Richard en pensait n’était que trop explicite.
    Comme le soleil brillait sur San Francisco, Price nous a
emmenés dans sa Chevy 1956 jusqu’au Golden Gâte Park. Tout en arpentant le
musée De Young, nous avons déversé un flot d’astuces et d’allusions au point
d’élaborer une fable mythique sur chacun de nous.
    Ce jour-là, Price a été la cible d’une avalanche de gags et
de plaisanteries proférées par Richard et moi, avec cette verve caractéristique
que procurait habituellement le café entre eux deux.
    Parmi les traits que j’appréciais chez Price, il y avait son
goût pour le plaisir des sens. Price, l’hédoniste de l’Alabama, qui adorait la
bonne chère, les bons bouquins, savait apprécier les femmes dignes d’intérêt et
la musique classique. Un rêveur romantique, comme Richard, capable de jouer les
cow-boys en racontant ses histoires de bagarres et de dragues dans les bars. Ce
qui les différenciait, c’est que Price, lui, ne faisait pas de distinction
entre la réalité et sa propre « fantaisie ».
    De nous trois, c’est Price qui était pourvu de l’imagination
la plus sidérante. Il agissait selon ses idées fantaisistes d’autant plus
facilement qu’il ne se proclamait pas écrivain. Richard, en revanche, comme
nombre d’auteurs, se laissait rarement gouverner par ses impulsions, et il
enviait cette qualité chez Price. Le caractère volontaire et délicat de Richard
alimentait son écriture, mais il admirait en Price ce qu’il ne possédait
pas : une forte personnalité masculine.
    Après une balade dans le parc, nous sommes arrivés à
l’Aquarium Steinhardt. Et c’est là, en face de l’aquarium des anguilles, que
Richard et moi avons partagé notre première aventure signée Price Dunn.
    « Anguille ! » a-t-il hurlé.
    Il a joué des coudes à travers les touristes et s’est planté
rayonnant devant les poissons, comme s’ils étaient de vieux potes à lui.
    « Vous savez, par chez nous, dans le Sud, on en
attrapait des

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