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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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tour
située dans un angle est ouverte ; après avoir monté un escalier plus
étroit, en colimaçon avec des marches en bois, Lolita Palma débouche en haut du
mirador semblable à ceux que possèdent de nombreuses maisons de Cadix, partout
où l’activité courante des habitants – mandataires, armateurs,
commerçants – est liée au port et à la navigation. Depuis ces tours, il
est possible de reconnaître les bateaux qui viennent du large ; et, à
mesure qu’ils se rapprochent, de distinguer avec l’aide de longues-vues les
signaux hissés aux pennes des vergues : codes privés par lesquels chaque
capitaine informe le propriétaire ou le correspondant à terre des circonstances
du voyage et de la cargaison qu’il transporte. Dans une ville commerçante comme
celle-là, où la mer est la voie d’accès universelle et le cordon ombilical en
temps de paix comme de guerre, il y a des fortunes qui se font sur un coup de
chance ou une occasion bien exploitée, et des concurrents qu’une demi-heure en
plus ou en moins pour reconnaître le bateau qui se présente et ce que
transmettent ses signaux peut ruiner ou rendre riches.
    — On ne dirait pas le Marco Bruto, annonce le
veilleur.
    Santos est le vieux serviteur de la maison, vétéran de
l’époque du grand-père Enrico, embarqué comme mousse sur un de ses navires à
l’âge de neuf ans. Il a une main estropiée mais garde l’œil marin, capable d’identifier
un capitaine à sa manière de carguer les vergues en évitant les basses des
Puercas. Lolita Palma lui prend le télescope des mains – un bon Dixey
anglais, tube extensible en laiton doré –, l’appuie sur le garde-fou et
étudie le bateau au loin : voiles carrées, deux mâts portant toute leur
toile pour profiter de la bonne brise qui le pousse par tribord, et aussi pour
distancer un autre navire, avec deux voiles latines et un foc, qui, de la
pointe de Rota, tente de lui barrer le passage en serrant le vent au plus près.
    — La felouque corsaire ? interroge-t-elle en
indiquant cette direction.
    Santos hoche affirmativement la tête, tout en mettant en
visière sa main où manquent le petit doigt et l’annulaire. Au poignet, à
l’extrémité de la vieille cicatrice, on aperçoit un tatouage confus, décoloré
par le soleil et le temps.
    — Ils l’ont vu venir et ont sorti toute la toile, mais
je ne crois pas qu’ils le rejoindront. Il arrive très ouvert par rapport à la
côte.
    — Le vent peut tourner.
    — À cette heure-ci, et si vous me permettez, madame
Lolita, même s’il tournait de trois quarts, cela resterait suffisant pour
entrer dans la baie. Ce serait pire pour l’autre qui l’aurait de face… Je
dirais que, d’ici une demi-heure, le Français en sera pour sa peine.
    Lolita Palma regarde les récifs de l’entrée de Cadix que ne
couvre pas encore la marée haute. Vers la droite, plus à l’intérieur, se
trouvent les navires anglais et espagnols, mouillés entre le bastion de San
Felipe et la Porte de Mer, à sec de toile et vergues basses.
    — Et tu dis que ce n’est pas notre brigantin ?
    — Pour moi, non. – Santos hoche la tête sans
quitter la mer des yeux. – Ça ressemble plutôt à une polacre.
    Lolita Palma observe de nouveau dans la longue-vue. Malgré
la bonne visibilité due au vent d’ouest, elle ne peut distinguer les pavillons
de signalisation. Mais il est certain que, même si le bateau a des voiles
carrées, ses mâts qui, vus de loin, ne semblent pas pourvus de hunes ni de
barres traversières, ne correspondent pas à ceux d’un brigantin conventionnel
comme le Marco Bruto. Déçue, fâchée, elle cesse de regarder. Beaucoup
trop de retard, pense-t-elle. Trop de choses sérieuses en jeu. La perte de ce
navire et de sa cargaison serait un coup irréparable – le second en trois
mois –, avec cette circonstance aggravante que, du fait du siège français,
les risques encourus par les biens privés sont désormais à la seule charge des
particuliers et des armateurs, aucune assurance ne couvrant plus leurs pertes.
    — En tout cas, reste là. Jusqu’à confirmation.
    — À votre service, madame Lolita.
    Santos continue de l’appeler Lolita, comme tous les vieux
employés et domestiques de la maison. Les plus jeunes l’appellent madame
Dolores, ou mademoiselle. Mais dans la bonne société de Cadix qui l’a vue
grandir, elle reste Lolita Palma, la petite-fille du vieil Enrico. La fille de
Tomás Palma. C’est

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