Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
monétaire. Dans la foulée, il me propose de l'accompagner dans la Nièvre à la mi-juillet.
Puis il embraye sur la candidature à l'élection : « Je ne suis pas un maniaque. J'ai voulu, c'est vrai, lors de la dernière convention, que personne ne puisse peser sur ma décision. Cela, c'est certain, et je trouve que c'est naturel. Je veux que ma décision ne relève que de moi. En revanche, je vous l'assure, je ne l'ai pas encore prise, cette décision ! »
4 juillet
La fonction fait l'organe. Aujourd'hui président d'Elf-Erap et non plus ministre, Albin Chalandon veut réinvestir les bénéfices de son entreprise, qui sont conséquents, aux États-Unis, dans des entreprises de pétrole ultra-rentables. Hurlements du ministre de l'Industrie, André Giraud, et de son cabinet. Chalandon l'envoie bouler et, sûr de connaître mieux que Giraud le fonctionnement d'Elf, demande l'arbitrage de Barre qu'il voit ce soir. Il m'assure qu'il ne cédera sur rien.
Je lui demande ce qu'il fera si Barre lui propose un poste au gouvernement.
« Je n'accepterai pas, m'assure-t-il. Je veux régler ce problème avant. Pas question de “dégager” pour un poste ministériel ! »
10 juillet
Marie-France Garaud à mon ami Jacques de Lanversin qui travaille à ses côtés : « Chirac ? Il ne pourra peut-être pas se présenter. Mais est-ce qu'il est capable de s'en apercevoir ? »
Même jour
Pierre Mauroy raconte l'offensive des communistes au conseil régional du Nord. Intéressant de voir la façon dont ils fonctionnent, pas seulement sur le plan national, mais aussi localement. D'un coup, les élus communistes rejettent un projet qui, jusqu'alors, n'avait pas semblé leur poser de problème : projet de construction de logements et de réhabilitation qui doit, selon Mauroy, rapporter 3 milliards à la région. Mauroy raconte à Mitterrand à quel point le conseil régional a été houleux, passionné, ravagé. Il a dû interrompre la séance, ce qui n'était jamais advenu depuis plusieurs années.
Gaston Defferre, présent à la conversation, dit avoir eu exactement les mêmes démêlés avec le conseil régional Provence-Côte d'Azur. Il paraît qu'en Languedoc-Roussillon, cela a été la même comédie.
D'où la certitude qui est celle de Mauroy : entre Mitterrand et Giscard, les communistes donneront à leurs électeurs au deuxième tour la consigne de ne pas choisir : blanc bonnet et bonnet blanc, comme en 1969 entre Pompidou et Poher.
Par ailleurs, Pierre Mauroy ne se dit pas persuadé que Mitterrand ira au combat. Il continue de penser que Rocard aurait de meilleures chances. Le raisonnement de Mauroy est celui-ci : Mitterrand ne peut pas se permettre de recueillir 45 % des voix seulement. Il préférera ne pas prendre le départ de la compétition plutôt que de risquer d'obtenir moins de voix qu'en 1974. Tel est du moins l'espoir de Mauroy, mais pas pour lui qui ne pourrait envisager de se présenter qu'à l'occasion d'une défection de Rocard ou d'une crise majeure au sein du PS.
17 juillet
Que je note vite la conversation que je viens d'avoir avec Antoine Rufenacht ! Il s'est donc déterminé en faveur de la candidature de Michel Debré 35 . Il me raconte pourquoi, et pourquoi si vite. Il avait un rendez-vous fixé avec Jacques Chirac : il se sentait obligé de lui parler du cas de Michel Debré, pour lequel il penchait.
Il se rend donc à la mairie de Paris où Chirac, très chaleureux, l'accueille et lui fait son analyse : « Mon intérêt, lui dit-il, serait de ne pas me présenter et d'attendre paisiblement 1988. » Mais... Mais quoi ? « Mais l'intérêt du mouvement gaulliste, poursuit-il, est de réunir le plus grand nombre de voix possible, car, sans une démonstration de force gaulliste, Valéry Giscard d'Estaing procédera, dans la foulée, à des élections législatives anticipées, et nous serons tous laminés. »
Antoine Rufenacht l'interrompt en lui disant non sans aplomb : « Mon analyse est exactement celle-là : il faut que tu te réserves pour 1988. Et le meilleur candidat, dans ce cas, serait Michel Debré ; d'ailleurs, c'est ce que je m'apprête à dire. »
Chirac pâlit, il entre dans une colère froide, menace d'exclure Rufenacht. « Que vas-tu faire ?, lui demande celui-ci. Tu vas exclure aussi Michel Debré du RPR ? »
Chirac continue à s'emporter. Il raccompagne Antoine Rufenacht à la porte de son immense bureau de l'Hôtel de Ville et lui
Weitere Kostenlose Bücher