Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
surprise : « Je le croyais attaché à Giscard ? »
Réponse irritée : « Il est de droite, c'est tout. Giscard, il s'en fiche complètement ! »
Il n'a jamais rien acheté dans la Nièvre, ni maison ni fermette : « Je ne veux pas avoir de vie mondaine à Château-Chinon. Je déjeune à l'hôtel, à la table d'hôte. Vient qui veut. Si je dîne, c'est toujours en dehors de ma circonscription. »
Pourtant, depuis peu, me dit-il, il a acheté... un étang dans lequel il a mis des poissons.
Une nouvelle fois, je m'étonne de sa simplicité lorsqu'il est ici. De sa façon de s'adresser aux uns et aux autres, si différente de celle qui est la sienne à Paris. Il se mêle avec plaisir à la foule : ici il ne craint rien, me dit-il, ni des opposants ni des fous.
J'aime bien les rapports que les gens du cru entretiennent avec lui : mi-respectueux, mi-ironiques, pleins de considération, mais aussi de distance. L'un d'entre eux, Michel Guérard, premier adjoint socialiste de Nevers, proche de Mitterrand, rencontré sur le parcours, me dit, pendant que nous sommes restés un instant seuls, qu'il craint plus que tout une défaite sévère de Mitterrand, l'année prochaine. À tout prendre, il préférerait que Michel Rocard aille au combat plutôt que de voir Mitterrand battu une nouvelle fois.
Je lui demande ce qu'il sait des réflexions de François Mitterrand aujourd'hui.
« Il est venu passer des heures chez mon beau-père, me dit-il ; nous le connaissons depuis trente-deux ans. Eh bien, je n'en ai pas tiré un mot ! »
C'est sûr : ceux qui le voient le plus souvent et qui le connaissent le mieux savent... qu'ils ne savent rien !
Suivent trois heures de voiture par les petites routes nivernaises. D'abord il tient à me montrer « son » étang. Je veux le voir de près, je descends sur la berge, m'approche pour vérifier s'il y a des poissons... et glisse dans l'eau jusqu'à mi-mollets ! N'écoutant que son courage, il enlève chaussures et chaussettes et nous voici tous deux barbotant dans la vase. Il finit par me tirer de ce mauvais pas.
J'ai trempé ma robe, il peste en remettant ses chaussures, et ainsi commence la conversation politique la plus intéressante que j'aie jamais eue avec lui.
Essayons de la résumer et surtout de la classer par thèmes.
La présidentielle : « Je ne suis pas obsédé par la présidentielle. Je pense qu'il est dommage de ne pas être président, parce que j'y suis préparé. »
Nous parlons de Michel Rocard : « Rocard, c'est le socialisme sans le socialisme : ça fait un maximum de satisfaits, pardi ! Mais, s'il est élu, la France sera stupéfaite, ébahie par son vide. Ce sera un traumatisme insensé. C'est un charmant garçon, peu cultivé, qui manie très bien les nouveaux mots. Sur le terrain de l'économie, il ne m'a jamais impressionné. Et pourtant, nous en avons eu, des conversations économiques ! Ça ne sert à rien, l'économie. La preuve, c'est que les meilleurs économistes ne font jamais rien, ou qu'ils ne sont pas d'accord entre eux. Les vrais économistes, ce sont des gens comme Ramadier, en prise avec l'État, en prise avec la politique !
« Non, croyez-moi, ajoute-t-il, Rocard n'a rien à dire, ce n'est pas un homme d'État, et, au surplus, il s'est très mal conduit avec moi ! Eh quoi ! le jour même des législatives, dire que c'était la défaite de la “vieille gauche” alors qu'il est venu au PS en pleine période d'union de la gauche, qu'il le savait bien et qu'il en a d'ailleurs profité ! Dire de moi que j'étais sénile avant même de dire que mon vocabulaire était archaïque. C'en était injurieux ! »
Nous passons à Pierre Mauroy : « Prenez Mauroy. Il a davantage de qualités que Michel Rocard. Il a été lié avec lui, depuis avant 1976, par une sorte de pacte qui les unissait tous deux à Edmond Maire 40 . Jamais, autrement, il n'aurait été dénoncé par les miens. J'ai commis une erreur avec Mauroy : le rencontrer chez Gaston Defferre, dans le Midi, et ne pas lui parler du texte déposé par Louis Mermaz au bureau exécutif, début 1979, avant Metz. Tant que je n'ai pas été au courant, je ne pouvais pas le prévenir, et lorsque je l'ai été, j'ai demandé à Mermaz de porter ce texte à la connaissance de Mauroy, ce qu'il n'a pas fait tout de suite, voilà tout !
« Lui, en revanche, a commis l'erreur de faire le congrès de Metz avec Rocard. Là, je ne pouvais pas aller plus loin.
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