Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
remarque : il y a quelques années, quelques mois encore, le président de la République, dans le cas d'une rencontre avec Brejnev, par exemple, aurait réuni une vingtaine d'entre nous pour expliquer sa position et celle de son interlocuteur. C'est ce qu'il avait fait souvent après son accession au pouvoir. Cela, c'est du passé : et je crois savoir pourquoi.
Parce que, sans jamais le dire, il a été profondément blessé par la façon dont les uns et les autres, nous avons rendu compte de cette histoire de diamants. Il croyait « tenir » la presse, non pas en l'asservissant, mais en la charmant, en la convainquant, par sa sincérité et son intelligence. Et puis il s'est aperçu que ce n'est pas parce qu'il nous voyait souvent que nous étions conquis. Il ne suffit pas de parler à Alain Duhamel pour qu'Europe 1 soit à sa botte, pas de parler à Jean-Pierre Elkabbach pour qu'Antenne 2 soit sous contrôle, pas de me parler pour que Le Point soit inconditionnellement de son côté. Réflexe immédiat : il a pratiquement interrompu ces rencontres. Je ne suis pas sûre de ce que j'écris, mais mon instinct me dit pourtant que j'ai raison.
Sur l'Afghanistan : Giscard parle pour la première fois de son entrevue avec Brejnev. Il est convaincu de la nécessité du retrait total des forces armées soviétiques, et ce, pour trois raisons : résistance du peuple afghan, résistance de la communauté internationale et péril sur la détente mondiale.
Au cours de l'« utile conversation » (façon de réagir à tous ceux qui, à gauche et dans la droite chiraquienne, ont ridiculisé son initiative) qu'il a eue avec Brejnev, il lui a fait part de son analyse, lui a proposé de commencer le retrait des troupes soviétiques par la région de Kaboul, pour arriver à un retrait total et laisser le peuple afghan libre de son destin.
Brejnev ayant pris la décision de retirer une partie de ses troupes, Giscard ne regrette pas son voyage à Varsovie et tient à le faire savoir : il trouve son analyse confortée par ce « geste dans la bonne direction ».
Longue – une centaine de minutes, comme celle de Mitterrand –, la conférence de presse de Giscard est aux trois quarts consacrée à la politique étrangère. Façon de montrer qu'il est d'un niveau auquel personne en France – ni Mitterrand, ni Chirac, ni Rocard – ne peut prétendre. Dissuasion, défense, Europe, bombe à neutrons, indépendance de la France face à l'Amérique de Jimmy Carter, réduction de la durée du service militaire, rien de nouveau dans ce qu'il dit, mais il le dit avec une formidable énergie, comme s'il voulait prendre une revanche sur le sort que la presse lui a fait subir depuis six mois.
Il termine par cette phrase en guise de conclusion : « La véritable façon de rendre hommage à ceux qui ont fait des grandes choses, ce n'est pas de refaire ce qu'ils ont fait, c'est de retrouver l'esprit qui leur a fait faire ces grandes choses, leur en aurait fait faire de tout autres en d'autres temps. »
Comme elle tombe à propos, cette phrase, servie en fin de conférence, comme elle convient à quelqu'un qui voudrait capter un héritage historique ! Je ne fais pas de politique fiction, je ne me livre pas à une psychanalyse sommaire, mais je pense que Giscard a trouvé le moyen de se débarrasser de l'image du général de Gaulle telle qu'elle pèse sur lui : retrouver l'esprit et non les dogmes gaullistes, c'est prendre Chirac à revers sur son propre terrain.
Une confidence de Jean-Marie Poirier, à l'issue de la conférence de presse, m'incite à coucher sur le papier les phrases que je viens d'écrire. Il paraît qu'en riant, Giscard lui a dit hier, faisant allusion à la politique internationale et à son attitude vis-à-vis de la Russie soviétique : « Vous verrez que je finirai par être le dernier gaulliste ! »
30 juin
Hier, annonce de la candidature officielle de Michel Debré à la Présidence de la République.
1 er juillet
Une heure avec Marie-France Garaud – que je n'avais pas revue depuis sa rupture politique avec Jacques Chirac – dans une atmosphère chaleureuse, au 31, quai Anatole-France, où Juillet et elle ont installé leurs bureaux. Murs revêtus de boiseries de chêne, feu dans la cheminée, mobilier et tissus beiges et marrons. Un grand bureau rectangulaire pour Juillet, un bureau rond pour Marie-France.
« Ici on ne s'ennuie jamais », dit-elle en regardant par la
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