Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
d’échec du Président, et en exposant, comme il le fait depuis trois semaines, que « le changement ne peut venir que d’une autre majorité ». À l’entendre, il est déjà au pouvoir. Il annonce les premières mesures que prendra son gouvernement : conférence nationale sur les salaires et l’emploi, rendez-vous européens, etc.
Coup de téléphone de Bernard Pons, juste avant l’intervention de Chirac : « C’est terminé, me dit-il, nous avons perdu. Il n’y a plus rien à faire. »
J’appelle François Baroin : je le trouve plus optimiste que je ne m’y attendais. « Nous sommes à un demi-point du socle nécessaire à la victoire », assure-t-il tout en m’annonçant que Séguin et Madelin – celui-ci revenu miraculeusement en grâce – vont ensemble se lancer dans la campagne du second tour. Tout, selon lui, est encore gagnable.
28 mai
Un grand meeting se tient à Chambéry, ce soir, avec l’entrée en piste, ensemble, de Séguin et Madelin. Une fois de plus, Séguin m’emmène à bord de son avion. J’en profite pour essayer de lui demander ce que « le Château » pense de son engagement conjoint avec Madelin dans la campagne. « Oh, me dit-il, cela fait deux jours que ce que pense le Château n’a plus aucune importance. »
Il reste persuadé que le mouvement du premier tour est réversible. « Nous n’avons pas, me dit-il, perdu autant que nous le prétendons.Il fallait que le départ de Juppé soit digéré : c’était la condition nécessaire. Sera-t-elle suffisante ? »
Le départ de Juppé a évidemment modifié la donne pour Séguin. Si la majorité gagne le 1 er juin, après qu’il se sera lancé de toutes ses forces dans la bataille, il devrait logiquement se retrouver à Matignon. D’où son optimisme recouvré. À lui aussi le départ de Juppé a donné un peu d’air.
L’avion de Séguin atterrit quelques minutes après celui de Madelin. Embrassades sur le tarmac. Catherine Nay était dans l’avion de Madelin. Rapidement, nous échangeons nos points de vue : Madelin est aussi optimiste que Séguin alors qu’ils ne l’étaient guère ni l’un ni l’autre auparavant. Et lui aussi pense à Matignon. Il a assuré à Catherine, tout à l’heure, que tout était préparé, avant le premier tour, dans l’esprit de Chirac, pour que Juppé garde Matignon. Son discours d’investiture, dit-il, était prêt, ainsi que la liste d’une quinzaine de ministres prioritaires. Il a dû changer d’idée, la mort dans l’âme, dimanche soir.
Le meeting a lieu à 18 heures dans une immense salle de la périphérie de Chambéry. Michel Barnier, le régional de l’étape, parle en premier. Tout de suite après, Madelin commence son propos de façon sentimentale en s’adressant à Séguin comme s’ils étaient les deux seuls sauveurs de la majorité en péril : « Nous voici, cher Philippe, à nouveau côte à côte... » Pour le reste, il ne fait pas dans la dentelle : il appelle au sursaut face au péril socialo-communiste. Séguin aussi, dans un discours plus construit.
Voir ces deux hommes, la carpe et le lapin, conjuguer leurs efforts pour faire vaincre la majorité – quitte à dire plus tard que Chirac a perdu et qu’ils ont gagné – confère à ces derniers jours de campagne une saveur particulière.
29 mai
Jacques Chirac a dit à Jacques Toubon, hier : « Je ne sais pas pourquoi Séguin pense qu’il va être Premier ministre : je ne lui ai rien promis. »
Rien n’est joué pour Matignon, tandis que les sondages confirment la victoire de la gauche après-demain.
Dernier voyage de la campagne avec Édouard Balladur alors que les sondages montrent que l’intervention de Madelin et de Séguin n’a pas rétabli les chances de la majorité. Un sondage Sofres que nous avons sous les yeux au moment où l’avion décolle donne, comme point moyen, 34 sièges au PC, 274 au PS, 267 au RPR-UDF. Le Front national, s’il contribue par les triangulaires à la victoire de la gauche, n’obtiendrait qu’un seul siège.
Dans l’avion, Balladur évoque ses lectures. Il est en train de lire les lettres des ambassadeurs vénitiens au XVI e siècle, parle de Napoléon III en qui il voit un personnage « néfaste, dévastateur », puis de lui-même, en se définissant ainsi : « Je suis gaullo-tocquevillien » – ce qui ouvre des horizons nouveaux à la science politique pour laquelle cette catégorie n’existe
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