Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Résumé des chapitres précédents...
Le 16 mars 1986, Jacques Chirac et l’opposition remportent les élections législatives. Malgré un suspense de dernier moment où l’entourage de François Mitterrand laisse entendre que celui-ci pourrait bien démissionner si la gauche perd ces élections, le président de la République fait immédiatement savoir, le 17 mars, qu’il choisirait son Premier ministre dans les rangs de la majorité nouvelle.
Il n’a guère hésité sur le choix du successeur de Laurent Fabius à Matignon : un rapide calcul et quelques rencontres secrètes lui ont démontré que ni Jacques Chaban-Delmas ni Valéry Giscard d’Estaing, tous deux possibles Premiers ministres, n’auraient obtenu, s’ils l’avaient souhaité, la majorité à l’Assemblée nationale, verrouillée de longue date – au moins depuis l’année précédente – par le président du RPR. Jacques Chirac devient donc Premier ministre de François Mitterrand.
C’est dans ce nouveau contexte difficile que commence ce troisième tome des Cahiers secrets de la V e République : dans le cadre d’une cohabitation qui a été plus ou moins conceptualisée par Édouard Balladur dans les années précédentes et acceptée dans son principe par François Mitterrand. C’est ainsi que, dès la première entrevue entre le chef de l’État et Jacques Chirac, le 17 mars, ce dernier a admis d’emblée les prérogatives présidentielles en matière de diplomatie et de défense. Le Président, lui, est tenu par la Constitution de promulguer les lois votées par le Parlement, mais aucune autorité ne peut l’obliger à signer des ordonnances.
Lors du premier Conseil des ministres, le 26 mars, Jacques Chirac abat ses cartes : il annonce sa volonté d’abroger « les dispositions qui freinent l’économie de marché », d’aménager le temps de travaildans le but de « renforcer la compétitivité de l’économie française », de recourir aux ordonnances pour imprimer rapidement le rythme des réformes. C’est ainsi que le budget 1986, adopté six mois auparavant par la majorité socialiste, se verra, annonce-t-il, rectifié par une loi de finances.
Le Premier ministre met également sur la table, dès ce jour-là, ses deux autres priorités : une ordonnance pour rétablir le scrutin majoritaire, que François Mitterrand a supprimé l’année précédente, et la privatisation de l’audiovisuel public.
En revanche, la consigne donnée par Jacques Chirac à ses ministres est claire et ne souffrira pas d’exception : le gouvernement ne doit en aucun cas débattre de ses problèmes devant le Président.
Le souhait et la recommandation que Mitterrand exprime à son entourage sont également clairs : ne rien faire qui puisse donner à croire que l’Élysée est impliqué dans les décisions prises par Matignon. « Pas de confusion, précise-t-il à ses proches ; c’est eux qui gouvernent, pas nous ! » Il est évident que, dans la perspective de l’élection présidentielle de 1988 à laquelle il ne cesse bien entendu de penser, ses chances de contre-attaque seront d’autant plus grandes qu’il n’aura pas assumé les responsabilités de la politique suivie par son Premier ministre.
Tandis que le nouveau gouvernement s’organise, l’Élysée devient le château de la Belle au bois dormant, mais François Mitterrand n’y dort que d’un œil.
On ne s’étonnera pas que le troisième tome de ces Cahiers secrets s’ouvre sur le moment où se pose la question de la signature des ordonnances sur les dénationalisations, à l’été 1986, et où débute l’épreuve de force entre François Mitterrand et Jacques Chirac.
1986
10 juillet
Avant-hier, dernière rencontre avec François Mitterrand. Je l’ai vu pour lui dire que j’allais, sans attendre la fin officielle de la Haute Autorité, reprendre mon travail de journaliste. Lorsque je lui déballais l’affaire, il a eu un commentaire du genre : « D’accord, bien sûr, vous avez le droit de partir ! Je ne vous en empêcherai pas ! Vous croyez que moi, je n’en ai pas envie ? »
Sur le moment, je n’ai pas exactement mesuré ce qu’il était en train de me dire. J’ai bien compris que mon départ l’irritait, mais pas qu’il me conseillait de faire comme lui : d’attendre, solide comme un roc, à mon poste. Le lendemain, j’ai appris que, telle qu’elle avait été rapportée – à qui, comment, où ? je ne
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