Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Bayrou lui succède à l’antenne au petit matin. Il avoue publiquement, cette fois, qu’il n’était pas favorable à la dissolution, qu’il l’avait dit par deux fois à Jacques Chirac : « Il ne faut pas, dit-il, souhaiter l’orage et attendre que la foudre tombe sur les autres. » Autrement dit : Chirac a eu tort, la foudre lui est tombée dessus.
Dans la journée, annonce de la démission d’Alain Juppé, qui, selon la formule officielle, mènera le combat jusqu’à son terme, puis quittera Matignon. C’est reconnaître que la perspective qu’il reste Premier ministre a bien plombé la majorité.
La gauche en profite pour enfoncer le clou : « C’est la panique, clament ses porte-parole dans tous les médias. Il n’y a plus personne au gouvernement. L’aveu d’échec est flagrant. Nous sommes prêts à gouverner ! »
Passant par la grille du Coq 32 , Juppé a vu Chirac cet après-midi. Il a annoncé sa démission, en sortant de cette entrevue, par une déclaration tendue – on le serait à moins. Cela ne modifie pas les choses : cette démission de Juppé après le premier tour est trop tardive
Après lui, qui : Balladur, Séguin ?
Dans la soirée, je vois Bernard Pons que Chirac avait emmené en Chine, il y a quelques jours. Il me raconte que Chirac était inquiet, qu’il les a consultés, lui et Alain Peyrefitte, qui était aussi du voyage, sur l’influence de la présence d’Alain Juppé à la tête de la campagne. Aujourd’hui, ce matin, il a poursuivi ses consultations et a donc pris,la larme à l’œil, la décision de demander à Juppé de se retirer. « Le problème maintenant est celui-ci : la majorité se divise à nouveau, cette fois entre balladuriens et séguinistes. Ce n’est pas meilleur pour elle », conclut tristement Bernard Pons.
Parmi les personnalités consultées par Chirac : Giscard. Brice Hortefeux m’assure – il le tient de la bouche du cheval – que VGE a appelé Chirac, hier soir, pour lui demander le départ de Juppé.
« Ouf ! On a un peu d’air, maintenant », a confié Hervé de Charette à la jeune femme chargée de sa communication.
26 mai , toujours
À l’antenne, ce matin, Jean-Marie Le Pen triomphe. Il pousse son avantage en demandant à tous les élus de renoncer au traité de Maastricht. Il aura, pour ceux qui le feront, une « attitude sélective », c’est-à dire qu’il incitera les électeurs du FN à reporter leurs voix sur celui qui, de droite ou de gauche, dénoncera individuellement le traité européen. Cela s’appelle abus de position dominante, voire chantage...
Il y aura des triangulaires gauche-droite-FN dans 133 circonscriptions. « Nos candidats, dit-il, sont là pour être élus. Ils peuvent être de 10 à 15 à entrer au Parlement. Dans ce cas, nous serons en mesure de faire la majorité. »
Avant de pénétrer dans le studio, il dit, commentant le départ de Juppé : « Quand on n’a pas de chance, il n’y a rien à faire. Tout tourne à pas de chance. » Et encore : « Des tas de métaphores maritimes me viennent à l’esprit sur les bateaux qui coulent et les poids inutiles qu’il faut faire passer par-dessus bord... »
De Jacques Barrot, dans l’après-midi, au téléphone : « Juppé est courageux, mais la fin de l’histoire est dramatique. Elle est révélatrice de la façon dont Juppé a toujours agi : dans la précipitation ; c’est la caractéristique de son action. J’en sais quelque chose, je l’ai vécu plusieurs fois : je pense à la baisse des impôts, par exemple, décidée à Brégançon pendant l’été, sans aucune consultation, très vite, pour ne pas laisser les balladuriens seuls à en parler. »
27 mai
En plein milieu de la campagne politique officielle, alors que les temps de parole des partis en course sont sévèrement décomptés par le CSA, Jacques Chirac intervient à la télévision.
Démission de Juppé évoquée sur le mode : il a bien travaillé, je le remercie. Puis promesses d’une démocratie modernisée, davantage de dialogue et de concertation, conciliation entre liberté et solidarité.
Réponse de Jospin sur France 2, tout de suite après. Sa stratégie est claire : quoi qu’il pense de ce qu’a dit le Président, il ne veut pas l’attaquer frontalement, puisqu’il se situe dans l’hypothèse où la cohabitation commencera le 1 er juin. Il esquive la difficulté en se contentant de parler d’aveu
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