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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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hommes qui le donnaient.
    Le reste n’était qu’affabulation, superstition.
     
    Et la mort de Marie, ma décharnée ? Et le désespoir qu’elle avait engendré ?
    Et l’amour qu’en dépit de mon égoïsme j’avais éprouvé pour elle, n’était-ce qu’un réflexe de rat ?
    Et les bras de Marie que, petite, elle avait l’habitude de nouer autour de mon cou, c’était quoi ? L’instinct ?
    Tout cela à la fosse ? Dans le crématoire ? Et tout était dit ?
    Et ces centaines de milliers d’enfants gazés, brûlés ? Et ceux dont un homme en noir fracassait la tête en les tapant contre un mur ? Sans importance ? Sans signification ? Sans espérance ?
    Et si le tueur échappe à la justice des hommes et meurt en paix, ayant troqué le noir de l’uniforme pour le blanc du rentier, aucun châtiment ?
    Pris ou pas pris, tel serait donc le non-sens de cette vie animale ?
    Vous voulez donc n’être que des rats ?
    Si vous refusez d’être homme, craignez la fin des temps !
     
    Les athées timorés, les agnostiques se taisaient.
    J’avais longtemps été l’un de ces lâches qui détournent la tête. Je n’avais pas voulu voir ma fille morte et j’avais laissé les flammes la dévorer.
    J’avais été plus rat qu’un rat qui lèche sa portée et la défend.
    Je suis innocent devant la loi, qui est l’ordre des choses. Mais si je crois que la vie a un sens, je suis coupable et criminel.
    Qu’on me frappe « avec une trique de fer, comme on brise des vases de poterie » !
    J’espère ce châtiment évoqué au chapitre II, verset 27, de l’Apocalypse de Jean.
    « Je sais tes œuvres », a dit Dieu à l’Évangéliste.
    Il connaît les miennes et celles de chaque homme.

43
    Apocalypse et Espérance
    V
    « Et j’ai vu dans la droite de celui qui est sur le trône, écrit au-dedans et au dos et scellé de sept sceaux… Qui est digne d’ouvrir le livre et d’en rompre les sceaux ?… Digne est l’agneau égorgé de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la bénédiction. »
    Apocalypse de Jean, V, 1, 2, 12.
    Je laisse s’éloigner Claudia Romano et Rosa Berelowicz. Veraghen les entraîne en les tenant par la taille. J’entends son rire.
    Tous les autres – Moralès, Natakis, Boyon, Wessermann – leur emboîtent le pas.
    Claudia me fait signe, m’invite à les rejoindre. Veraghen se tourne vers moi, m’interpelle :
    « Paul, prenez donc la vie comme elle vient ! »
     
    Je m’assieds à même le sol, dos appuyé au tronc d’un olivier. Je ne peux plus vivre comme eux et, lorsque je parcours les chemins de ma mémoire, il me semble n’avoir jamais connu leur insouciance, leur légèreté.
    La vie était pour moi une paroi verticale que je devais gravir à mains nues, collant au rocher, me dépouillant de tout ce qui m’alourdissait, et chaque mètre gagné devait être payé d’un sacrifice.
    Ma seule joie – mais ce mot-là ne convient pas, il faudrait employer un terme comptable : profit, gratification ? – était non pas de jouir, mais de conquérir.
    Je voulais prendre et posséder.
    Je sais aujourd’hui que j’ai ainsi troqué l’essentiel contre le dérisoire.
    La vie de Marie, ma fille, contre mes ambitions.
    J’ai cru accéder au sommet et, lorsque j’ai levé la tête, sûr de ne trouver au-dessus de moi que le ciel éclatant, j’ai vu l’ombre que faisait, en surplomb, une roche dont l’horizontale agressivité m’interdisait même de rêver pouvoir m’y agripper.
     
    Mon désespoir douloureux, mon aveugle vanité font que je ne suis qu’un être quelconque, àl’image de ceux qui s’engagent tous dans la même vaine escalade.
    Ils désirent le dérisoire.
    Or il ne peut y avoir de civilisation là où l’on préfère la verroterie au diamant.
    Ce que j’ai fait, ce qu’ils font tous.
    « Il faut prendre la vie comme elle vient », dit Veraghen.
    Il se trompe, il se ment.
    « Vivre, ce n’est pas prendre, c’est donner. »
    La conquête est vaine ; la possession, c’est la mort.
     
    Ils sont revenus vers moi, fourbus et silencieux. Veraghen a concédé que l’horizon du côté de l’Asie était bouché, le vent au sommet de l’île, glacial.
    « Vous n’êtes qu’un prophète de malheur, Paul. Vous aviez prévu l’orage. »
    Il s’est assis en face de moi, m’a défié.
    « Qu’est-ce que vous offrez, Paul, en compensation ? »
    J’ai sorti de ma sacoche ce livre

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