Cathares
ailleurs. Rassure-toi, je ne cherche pas à m’excuser, j’assume tout ce que j’ai fait. Je dirais même que j’en suis fier.
Pendant qu’il parlait, Chenal sortit une seringue de sa poche.
— Lorsque Rahn est arrivé dans la région, nous avons été quelques-uns à nous dire que toutes ces histoires de trésor étaient peut-être bien réelles. D’autres le prenaient pour un fada, mais nous, nous étions bien décidés à ne pas laisser un étranger profiter de ce qui nous revenait. Nous l’avons épié, suivi, parfois même aidé, mais il était fou. En fait, nous avons fini par ne plus comprendre ce qu’il recherchait. Puis il a quitté la région et nous avons renoncé pour un temps à nos projets.
L’hôtelier se tut un instant et prit une petite fiole qu’il agita comme s’il avait été un habitué des cabinets médicaux.
— Quand la guerre a commencé, beaucoup se sont dit qu’il était temps de prendre notre revanche. Pas mal d’Allemands ont défilé dans le coin pour percer le secret des Templiers ou négocier des affaires de manière discrète avec l’Espagne franquiste. Officiellement, l’État français n’était au courant de rien, mais il favorisait notre petit commerce. Nous sommes quelques-uns à nous être bien enrichis à cette époque. Moi, je m’étais fait une spécialité du passage d’armes à la frontière. Les opérations n’étaient pas sans risques, mais nettement plus lucratives que le trafic de pommes de terre.
Chenal planta la seringue dans la fiole.
— À la fin de la guerre, nous avions joué assez finement pour que notre réputation ne soit pas trop atteinte. Certains prirent le parti de quitter le coin pour aller refaire leur vie ailleurs, mais beaucoup décidèrent de rester. Ce fut mon cas. Il suffisait de ne pas exhiber ses petites économies de manière trop criante. Cela tombait bien, j’ai toujours été du genre économe !
Il aspira le liquide jaunâtre qui passa lentement de la fiole dans la seringue.
— Par ailleurs, les affaires étaient loin d’être finies ! Adolf s’était suicidé en Allemagne, mais son vieux copain Franco restait au pouvoir en Espagne. Dès lors, nous avons pu aider pas mal de Boches à passer discrètement de l’autre côté des Pyrénées. C’était un tel bordel à la fin de la guerre que notre entreprise a prospéré sans éveiller les soupçons. Bien joué, non ?
Chenal se rapprocha de Le Bihan et expulsa trois gouttes de la seringue pour s’assurer qu’elle fonctionnait bien.
— Tout cela a parfaitement fonctionné jusqu’à ce que cinq Allemands débarquent. Avec le temps, l’État avait eu le temps de réorganiser sa police et les passages devenaient de plus en plus difficiles. Il nous a fallu un peu de temps pour préparer le passage des cinq Boches et ceux-ci en ont profité pour découvrir notre petit trafic.
L’hôtelier remonta la manche de Le Bihan et approcha l’aiguille de son bras.
— Ne t’inquiète pas, cela ne fait pas mal. Moins mal que le coup de revolver que je me suis pris l’autre jour pour te prouver ma bonne foi. Je dois reconnaître que tu m’as fichu la trouille. Un moment, j’ai bien cru que tu n’avais plus confiance en moi !
L’aiguille pénétra sous la peau de l’historien.
— Quand arriva le moment de faire passer les Allemands, ils décidèrent de rester ici. De se cacher et de poursuivre les recherches qu’avait autrefois entamées Otto Rahn. C’est à ce moment-là qu’ils ont lancé leur histoire de confrérie et de résurrection des Cathares. Au début, on les a pris pour des fadas, mais von Graf est un malin. Pendant la guerre, on l’appelait l’ingénieur pour l’extrême précision avec laquelle il traquait et puis se débarrassait de ses ennemis. Là, on a compris qu’il avait tout prévu depuis longtemps. L’histoire de la fuite en Espagne n’était qu’un prétexte.
Le Bihan sentit qu’il perdait peu à peu connaissance, mais Chenal continuait à parler.
— Il possédait un dossier complet sur tous les faits de collaboration et de trafic des habitants de la région pendant la guerre. Tous ceux qui étaient passés entre les mailles des filets de l’épuration avaient pas mal de mouron à se faire ! C’est de cette manière qu’il a réussi à se composer une armée secrète, entièrement dévouée à sa personne. Je n’en suis qu’un humble soldat – ou plutôt un Bon Homme, comme il exige que nous nous appelions
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