Cathares
était en minuscule. Le tracé à l’encre noire était conforme aux cours de calligraphie gothique que les Allemands dispensaient pendant la guerre en zone occupée.
« K v G »
Le Bihan eut la sensation de recevoir un coup de poing dans l’estomac. Le choc qu’il ressentit fut suivi d’un accès de vertige et il y a fort à parier que s’il n’avait pas été assis dans le fauteuil à fleurs, il serait tombé à terre. Le Bihan regarda la pièce autour de lui. Le moindre tableau, le vase le plus insignifiant, la dérisoire collection de fers à cheval, tout lui était devenu hostile. « K v G », Karl von Graf, était venu dans cet hôtel ! Il s’était probablement assis dans ce fauteuil. Cette seule pensée était insupportable. Et si c’était une coïncidence ? Non, il jugea l’éventualité impossible.
« On dirait que tu as vu le grand inquisiteur. »
Cette histoire était devenue trop dangereuse. Le Bihan sortit de la pièce et ferma doucement la porte. Il s’engagea sur ces satanés escaliers qui semblèrent compatir en grinçant moins fort que lors de leur descente. Il n’avait plus qu’une seule idée en tête : quitter l’hôtel des Albigeois ! Au plus vite !
Arrivé sur le palier qui menait à sa chambre, Le Bihan sentit son coeur s’emballer. Sa tête était proche d’exploser. Le tambour lui battait les tempes. Les chocs se faisaient sentir jusque dans ses dents. Ses yeux étaient en proie à une terrible chaleur. Il posa sa main sur la poignée de la porte. Tranquillement assis à sa table de travail se trouvait Chenal, plongé dans la lecture des parchemins. Il se tourna vers son client et lui dit en souriant :
— Toutes mes félicitations Le Bihan, tu as réussi à résoudre une énigme vieille de sept siècles. Chapeau, mon vieux !
71
Une petite dépendance en pierres du pays se trouvait au fond du jardin de l’hôtel. Chenal avait coutume d’y ranger les chaises de la terrasse, les outils de jardinage et le bois pour la cheminée. Il y avait installé Le Bihan, solidement attaché à une chaise par les bras et les jambes. Même si l’abri se trouvait à distance respectable de l’hôtel et de la route, il avait jugé plus prudent de le bâillonner.
L’historien était resté seul pendant une bonne heure à méditer sur son erreur. Il avait d’abord sous-estimé l’importance de la découverte de Rahn. Et une fois qu’il en avait pris conscience, il avait voulu continuer à jouer cavalier seul. Depuis le début de l’histoire, il avait persisté à ne pas avertir la police. À présent, il regrettait son comportement puéril. Voilà où cela l’avait mené de jouer au héros. Il se retrouvait attaché dans un abri de jardin en pleine nuit. Il n’y avait pas de quoi pavoiser. Les pensées se bousculaient dans sa tête, mais elles étaient toutes négatives. Le Bihan essaya d’en arrêter le flot. Il devait bien y avoir un moyen de sortir du piège dans lequel il s’était lui-même fourré.
Alors qu’il tentait de réfléchir posément, la porte s’ouvrit et Chenal entra. L’hôtelier avait perdu la bonne humeur qui le caractérisait. Même son visage avait changé. Son éternel sourire s’était transformé en une expression dure que soulignait encore davantage une petite bouche aux lèvres pincées que Le Bihan n’avait jamais remarquée jusque-là. Il prit une chaise et s’assit face à son client. L’hôtelier le regarda ; il n’y avait pas la moindre trace de regret dans son regard. Il entama alors un monologue sur le ton posé qu’emprunterait un médecin parlant à son patient.
— Tu vas bientôt quitter l’hôtel pour un endroit qui devrait te plaire. À présent que nous sommes en possession de ce que nous recherchions, nous n’avons plus besoin de toi, mais sois tranquille, nous t’avons préparé une sortie en beauté.
Chenal fronça les yeux comme un chasseur qui examine sa proie tombée dans son piège.
— Tu vas me demander pourquoi ? C’est idiot, j’ai toujours trouvé que les personnages de roman n’étaient pas crédibles lorsqu’ils racontaient leur histoire et exposaient leurs motivations à la fin. Et à présent, j’ai envie de le faire. La région n’est pas riche. Les gens d’ici ont toujours réussi à joindre les deux bouts en organisant de petits trafics avec l’Espagne ou l’Andorre, mais les hivers sont rudes et il faut aimer ce pays pour ne pas avoir envie d’aller tenter sa chance
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