Cathares
paroles... Je ne peux m’empêcher de penser qu’elle était sincère !
Joyeux prit le livre posé sur la table et alla le replacer dans la bibliothèque.
— Tu sais ce que je pense ? dit-il avec toute la diplomatie dont il pouvait faire preuve. Si tu en es réduit à chercher des femmes sept siècles en arrière, c’est que tu as besoin de passer une soirée bien arrosée en ville. Ce soir, je passe te chercher à dix-neuf heures chez toi. Et c’est moi qui régale !
— D’accord, répondit Le Bihan, prompt à se laisser convaincre. Tu as raison, je crois que cela me fera du bien.
Avant de quitter la salle de lecture, Joyeux se retourna une dernière fois.
— Et promets-moi de ne pas venir en armure. J’ai bonne réputation dans cette ville et je tiens à la conserver !
3
Berlin, 1938
Cher Jacques,
Depuis la parution de mes deux livres qui ont considérablement éclairé nos contemporains sur des questions trop longuement enfouies, les circonstances ont beaucoup évolué. Ceux qui avaient intérêt à taire la vérité au cours des siècles avaient un instant relâché leur garde, mais ils sont à nouveau en mesure de me museler. Les ennemis ont changé de nom, mais leur but reste le même.
Aujourd’hui, il ne m’est plus possible de trouver un éditeur en Allemagne. C’est la raison pour laquelle je m’adresse à toi. Depuis notre première rencontre, j’ai toujours pu compter sur ton amitié discrète ainsi que sur ton aide précieuse.
Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, mais je tiens à ce que mes découvertes soient connues de tous. C’est ce qui m’a donné l’idée d’écrire mon nouveau livre par voie épistolaire. J’y consignerai à la fois mes dernières découvertes, mais aussi le long sentier, parsemé de pièges et d’embûches, qui m’a mené jusqu’à la lumière.
Je me remémore souvent ce que me disait ma mère. « Il ne faut pas buter contre un problème, il faut seulement chercher sa solution. » Ma mère était une femme de caractère perdue dans un monde d’hommes. Des leçons de bravoure et de courage, elle n’avait eu besoin d’en recevoir de personne. Personnellement, j’ai toujours beaucoup douté de ma bravoure et encore plus des choix que j’ai faits. J’ai également regretté certains de mes actes, surtout ceux qui m’ont éloigné des exigences scientifiques qui ont pourtant toujours été les miennes.
Pour une raison élémentaire de sécurité, j’adresserai toutes les lettres à cette adresse de poste restante. Le courrier vers la France fait l’objet d’une surveillance particulière. Je t’en prie, collecte les lettres régulièrement et conserve-les dans un endroit sûr. Crois-moi, je n’exagère pas le danger. Plus je me rapproche de la vérité, plus je sens tout ce que je risque. Je t’enverrai mes lettres à intervalles réguliers. Si tu devais être sans nouvelles de moi pendant plus d’une semaine, tu seras en droit de t’inquiéter, à moins que la poste ne subisse de sérieux retards. Je compte sur toi pour t’acquitter de la lourde mission que je te confie. Ne m’en veux pas, mais tu es la seule personne en qui je puisse encore avoir confiance.
Ton dévoué,
Otto Rahn
4
Depuis qu’il avait reçu l’étrange appel téléphonique, Le Bihan n’était plus tout à fait lui-même. Il devenait plus taiseux et ne passait plus de longues heures à ferrailler avec le proviseur pour remettre l’intégralité du système d’instruction français en cause. Dans un premier temps, il avait fait le choix de suivre une vie sociale normale. Après une mémorable gueule de bois qui lui avait valu un solide mal de tête un jour de contrôle, il avait décliné deux invitations de son ami Joyeux et préféré passer ses soirées chez lui. Plus grave, il n’avait même pas cherché à aborder la jolie Mademoiselle Félix qui remplaçait la professeure de musique partie depuis quelques jours en congé de maternité. Non, Le Bihan avait la tête ailleurs. Quelque part entre Montségur et Puilaurens, sur une carte de son dictionnaire encyclopédique Larousse.
« Notre foi, elle, ne peut point disparaître. »
Sans trop oser se l’avouer, Le Bihan attendait. Il avait hâte de rentrer chez lui, chaque soir après les cours, pour guetter un nouveau coup de téléphone. Elle ne lui avait parlé que quelques secondes, mais sa voix l’obsédait. Qui était donc la mystérieuse Philippa ? Et que
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