Cathares
lendemain, il l’avait repris du début en écrivant quelques notes. Celles-ci n’étaient pas structurées, il s’agissait plutôt d’impressions. Plusieurs thèmes développés dans le livre trouvaient écho dans son esprit. Il avait été frappé par la volonté de l’auteur d’assimiler la religion cathare à une forme de paganisme aryen, naturellement antérieur au judéo-christianisme. Dans la foulée, il avait fait quelques recherches à la bibliothèque sur Otto Rahn, mais il n’avait rien trouvé de très intéressant. Cinq ans après la fin de la guerre, il était encore des fantômes qu’il valait mieux ne pas réveiller. Et dans le cortège d’horreurs qu’avait entraîné le conflit, l’histoire d’un obscur archéologue national-socialiste ne pesait pas bien lourd.
« Mourir ne me fait pas peur. »
Et toujours l’écho lancinant de la voix de Philippa qui lui revenait en mémoire. En écumant les bouquinistes de la ville, Le Bihan avait déniché La Cour de Lucifer, le second livre qu’avait publié Rahn en 1937. Le libraire lui avait jeté un regard suspicieux avant de préciser qu’il ignorait d’où pouvait bien venir un tel livre dans son stock. De son côté, Le Bihan s’était cru obligé d’inventer une vague histoire de thèse qu’il rédigeait sur les historiens nazis pour ne pas passer pour un indécrottable nostalgique d’Adolf. Dans ce deuxième ouvrage, la connotation nationale-socialiste était beaucoup plus manifeste et Rahn avait encore renforcé le parti pris ésotérique. Mais au final, l’ensemble apparaissait indigeste et peu convaincant. Le Bihan avait même dû se forcer pour finir le livre. Contrairement à ses bonnes habitudes, l’historien n’avait pas pris le temps de compulser toutes les sources avant de se lancer sur le terrain. Cette fois, il préférait se fier à son instinct. Pour lui, il ne faisait aucun doute que l’appel à l’aide de Philippa et l’envoi du livre de Rahn étaient liés. Peut-être était-ce la même Philippa qui lui avait fait parvenir la Croisade contre le Graal. Mais pour quelle raison ? Et comment ? Sûrement pas en recourant au service de la poste à travers les siècles. Le Bihan voulait tirer cette histoire au clair et l’occasion lui en fut bientôt offerte.
Il avait profité de la semaine de vacances scolaires qui s’annonçait pour acheter un billet de train à destination du Languedoc. Il était d’autant plus convaincu de la pertinence de son voyage qu’il avait trouvé deux notes dans le premier livre d’Otto Rahn. D’abord, il n’y avait pas prêté grande attention, mais à force de relire l’ouvrage, il avait fini par y trouver deux petits mots tracés à la pointe d’un crayon. Cinq lettres écrites dans la marge de la page 12, « Ussat », et onze autres lettres en page 44, « Marronniers ». Il ne fallait pas être Sherlock Holmes pour faire le lien entre les deux indices. Ussat-les-Bains était une petite bourgade de l’Ariège, non loin de la ville de Foix. Quant aux Marronniers, il devait s’agir du nom d’un hôtel-restaurant comme il en existait tellement en France. Le Bihan repensa à l’étonnement de Joyeux lorsqu’il lui avait annoncé sa décision de prendre quelques jours de vacances. Son ami avait bien évidemment essayé de savoir où il allait, mais il n’avait pas lâché le morceau. Ce voyage était son voyage et ce mystère était son mystère. Au fil des jours, cette histoire de Cathares et de nazis s’était même muée en idée fixe.
Le Bihan jetait un regard distrait sur la campagne qui s’échappait à la cadence un brin soporifique des mouvements saccadés du train. Il songeait à ces sept années passées depuis la fin de la guerre et il n’était pas satisfait du bilan. Il se dit qu’il n’avait pas réussi à donner un nouveau sens à sa vie. La guerre lui avait apporté le pire, mais – il osait à peine se l’avouer – elle lui avait aussi fait connaître le meilleur. Il avait découvert le véritable amour en croisant la route de Joséphine, une fille comme il était certain de ne plus jamais en rencontrer. Il avait élucidé un mystère millénaire en découvrant le secret de la tapisserie de Bayeux. Il s’était découvert un courage insoupçonné en combattant les Allemands sur son propre terrain : l’histoire et l’archéologie. En même temps, il avait appris que les préoccupations de ses ennemis – même les plus implacables
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