Cathares
s’attendait pas à une telle réplique. C’était une simple curiosité. J’ai lu un article qui parlait de lui et...
— Ne croyez pas ce que racontent les gazettes, lâcha la blonde sur un ton péremptoire en rangeant son chiffon. Les gratte-papiers sont payés pour les remplir alors qu’ils n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils racontent.
Le Bihan ne chercha pas à approfondir la conversation et encore moins à disserter sur la conscience professionnelle des journalistes. Il régla sa consommation et sortit du bar. Le soleil, jusque-là dissimulé par de gros nuages blancs, tentait une timide percée. Le centre d’Ussat semblait dès lors plus accueillant. Il croisa deux curistes qui se rendaient dans le bâtiment des thermes. Combien pouvait-il y avoir de petites stations thermales en France ? Beaucoup avaient perdu leur lustre d’antan, mais toutes conservaient une part de leur charme suranné. Et que feraient ces nuées de curistes sans le cérémonial d’une vie réglée selon les heures des soins et des repas ? Dans ce genre d’endroit, le temps acquérait une autre dimension. Il en profitait, se payant même parfois le luxe de suspendre sa marche.
Ce fut d’humeur plus joyeuse que Le Bihan parcourut les quelques mètres qui le menaient à l’hôtel de la Source. Munie de ses huit petites fenêtres en façade, d’un petit escalier en pierre et de sa porte brune, la bâtisse n’était guère impressionnante. Le jeune homme nota que le « r » de la Source était à moitié effacé. Il obéissait à un réflexe d’archéologue assez hors de propos en ce genre de circonstance, mais c’était là le genre de détail qui ne manquait jamais de lui sauter à l’oeil.
Cette fois, il fut accueilli par une femme brune qui se montra beaucoup moins suspicieuse que la blonde du bar-tabac. Elle lui attribua sa plus belle chambre, celle dont la vue donne sur la rue et, quand le feuillage des arbres le permet, précisa-t-elle, sur les parois rocheuses d’en face. Le Bihan se garda bien de prononcer à nouveau le nom de Rahn avant de prendre possession de son logement. La chambre n’avait rien de bien particulier. Le lit un peu trop mou (malgré le renouvellement de la litière) était flanqué d’une table de nuit avec une lampe dotée d’un abat-jour de cretonne imprimée. En guise d’unique décoration, une gravure était accrochée au mur qui faisait face au lit. Elle représentait une jeune femme au sourire forcé, affublée d’un costume folklorique trop grand pour elle et portant un seau d’eau. Le Bihan en déduisit qu’il s’agissait d’une subtile référence à la vocation thermale de la station. Il posa sa petite valise de cuir brun sur le lit et en sortit les quelques effets qu’il avait emportés pour son court séjour. Il jeta un rapide coup d’oeil sur ses chaussures et se dit qu’elles feraient l’affaire pour les randonnées qu’il avait prévu d’accomplir dans la montagne. Et puis, tout d’un coup, une idée lui vint. Il sortit le livre d’Otto Rahn de sa valise et le posa bien en évidence sur la petite table qui était placée face à la fenêtre.
8
Le Bihan jugeait que la petite cité d’Ussat ne manquait pas de charme. Il avait rapidement apprécié son centre ombragé qui contrastait avec les petites rues adjacentes que baignait le généreux soleil occitan. En revanche, ses recherches ne progressaient guère. Si les habitants ne lui témoignaient aucune hostilité clairement affichée, ils s’arrangeaient toujours pour ne pas lui répondre. L’historien n’avait encore esquissé que quelques demandes (et encore celles-ci étaient-elles très innocentes, car il avait retenu la leçon du bar-tabac), mais il s’était chaque fois trouvé confronté à un mur de silence. Il fallait reconnaître que Le Bihan tranchait avec la clientèle habituelle de la station. Les curistes choisissaient Ussat-les-Bains pour bénéficier du bienfait des sources. Ils étaient le plus souvent âgés et se préoccupaient peu de connaître le passé de la région et encore moins les faits et gestes d’un obscur écrivain allemand de l’avant-guerre.
Le Bihan n’était arrivé que depuis trois jours, mais il avait déjà mis en place toute une série de petits cérémonials auxquels il se tenait avec la rigueur d’un retraitant. Après avoir pris son petit déjeuner à l’hôtel de la Source, il entreprenait une promenade dans le village sans omettre
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