Catherine des grands chemins
ne refuse jamais car, à sa manière, il aime sa femme pour sa douceur et pour le calme qu'il trouve auprès d'elle. La Reine fera tout pour l'apaiser en cas d'alerte... Le plus difficile sera l'approche du château.
Les nuits sont claires et les sentinelles qui veillent aux remparts pourraient fort bien donner l'alarme... auquel cas tout serait perdu.
Vous veillerez donc, messieurs, à ce que vos hommes ne portent aucune pièce d'armure, aucun vêtement d'acier dont le bruit serait dangereux. Rien que du cuir ou de la laine...
— Les armes ? demanda brièvement Jean de Bueil.
— La dague et l'épée pour les gentilshommes, la hache et la dague pour les soldats. C'est donc bien compris : à minuit, nous ouvrons la poterne. Vous entrez. Puis Bueil et Loré se dirigent vers la tour de Boisy tandis que les autres s'occupent du donjon. Coétivy et Tristan l'Hermite, avec une dizaine d'hommes, l'entoureront tandis que Brézé et Rosnivinen monteront à l'étage exécuter La Trémoille.
De la tête, les conjurés approuvèrent. Alors, s'éleva la voix claire de Catherine.
— Et moi ? demanda-t-elle froidement.
À mesure que parlait Gaucourt, l'indignation s'enflait dans son cœur en constatant qu'aucun rôle ne lui était réservé. Elle ne pouvait plus se taire. Il y eut un silence. Tous les regards se portèrent sur elle, et, dans tous, elle lut la même réprobation, jusque dans celui de Pierre de Brézé. Mais ce fut encore Gaucourt qui traduisit le sentiment général.
— Madame, dit-il courtoisement mais fermement, nous vous avons demandé de venir cette nuit pour que vous sachiez ce qui va être fait. C'était normal, et nous vous le devions. Mais ce qui nous reste à faire nous regarde, nous les hommes. Vous avez grandement mérité notre gratitude, certes, pourtant...
Un moment, sire gouverneur, coupa la jeune femme en se levant brusquement. Je ne suis pas venue à Chinon uniquement pour recevoir des compliments, entendre de belles paroles, et ensuite demeurer tranquillement dans mon lit tandis que vous attaquerez votre gibier. Je veux y être !
— Ce n'est pas la place d'une femme, s'écria Loré. Foin de jupons pour un combat !
— Oubliez que je suis une femme. Ne voyez en moi que l'émanation, le représentant d'Arnaud de Montsalvy.
— Les soldats ne comprendront rien à votre présence.
— Je m'habillerai en homme. Mais, encore une fois, messeigneurs, je veux y être. C'est mon droit absolu. Je le revendique.
Il y eut un silence. Catherine les vit se consulter tous du regard.
Même Brézé était hostile à sa présence ; elle le comprit fort bien à son attitude. Seul, Tristan osa plaider pour elle.
— Vous ne pouvez pas lui refuser cela, dit-il gravement. Vous avez accepté le danger insensé qu'elle a couru pour vous rendre possible cette attaque, et maintenant vous la rejetez ? La priver de la victoire serait injuste.
Sans répondre, Raoul de Gaucourt se dirigea vers l'escalier taillé dans le roc, posa le pied sur la première marche et, là seulement, se retourna.
— Vous avez raison, Tristan. Ce serait injuste. À demain, vous tous. A minuit.
Le ton était sans réplique. Personne n'osa la moindre protestation.
Ignorant Pierre de Brézé qui lui offrait sa main pour la reconduire à sa chambre, Catherine alla prendre le bras de Tristan.
— Venez, mon ami. Il est temps pour vous de vous reposer, dit-elle affectueusement l'entraînant vers la sortie de la grotte.
Elle refusa même de voir l'air malheureux de Pierre. Il ne l'avait pas aidée, tout à l'heure. Elle lui en voulait comme d'une trahison.
Lorsqu'elle rentra dans sa chambre Sara se souleva sur un coude et la regarda.
— Alors ? fit-elle.
— C'est pour demain, à minuit.
— Ce n'est pas trop tôt. Nous allons enfin voir la fin de cette folle aventure.
Et, satisfaite de cette conclusion, Sara se tourna de l'autre côté et reprit son sommeil interrompu.
La nuit de juin était claire et tiède. Dans le pourpoint de drap sombre étroitement lacé qu'elle portait, Catherine avait trop chaud en montant au milieu des autres, vers le triple château. Auprès d'elle, au coude à coude, marchaient Bueil, Loré, Coétivy, Brézé et Rosnivinen.
Tristan était derrière, avec les hommes d'armes, fermant la marche.
Cette troupe de cinquante hommes se déplaçait sans faire plus de bruit qu'une armée de fantômes. Les ordres de Jean de Bueil étaient formels et stricts : pas d'armes, dont l'acier pouvait tinter.
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