Catherine des grands chemins
la tête d'un groupe, disparaissaient silencieusement dans d'ombre du donjon. En franchissant la porte du Coudray, Catherine dut respirer plusieurs fois à fond car les battements de son cœur l'étouffaient. Instinctivement, elle chercha la dague à sa ceinture, serra fortement la poignée dans sa main gauche.
Maintenant, silencieux comme les anneaux d'un long serpent noir, les conjurés montaient dans la lumière indécise des quinquets fumeux vers l'étage où habitait le Grand Chambellan.
Les gardes de sa porte, reconnaissant le gouverneur, ne bronchèrent pas. Ils furent maîtrisés avant même d'avoir eu le temps d'ouvrir la bouche. Alors, seulement, le silence vola en éclats.
Par la porte violemment poussée, les conjurés se ruèrent dans la grande chambre où La Trémoille ronflait sous des courtines de velours que son souffle puissant agitait doucement. Une seule veilleuse d'or ciselée brûlait et, dans l'ombre des rideaux, on distinguait vaguement son énorme masse couchée sur le dos.
Ce fut rapide. Quatre hommes bondirent sur le corps monstrueux qu'ils escaladèrent et maîtrisèrent. La Trémoille, réveillé mais incapable de se redresser, se mit à hurler. Le pommeau d'une épée le frappa rudement à la tête, ouvrant une tempe qui se mit à saigner.
— Tuez-le ! cria Catherine, ivre d'une joie vengeresse si intense qu'elle ne se reconnaissait plus elle- même.
Arrachant sa dague de sa ceinture, elle allait se ruer en avant, mais un homme, en qui elle reconnut Jean de Rosnivinen, la lui arracha.
— Ce n'est pas là travail de femme, gronda le Breton en se jetant en avant. Donnez-moi ça.
De toutes ses forces il plongea l'arme dans le ventre de La Trémoille qui hurla. D'autres armes frappèrent, mais sans parvenir à faire taire le gros homme qui hurlait comme un porc à l'abattoir.
Dans le château, on s'éveillait à ces cris, des bruits naissaient, inquiétants. Encore quelques instants et la garde accourrait à ces hurlements.
— Il est trop gras, jeta Gaucourt dégoûté. Les dagues ne peuvent atteindre le cœur. Ligotez-le, bâillonnez-le et emportez-le !... Il faut qu'il ait quitté le château avant cinq minutes.
— L'emporter, s'insurgea Catherine. Pendons-le.
Nous n'avons pas le temps, dit le gouverneur. Ni de corde assez solide. Transportons-le à Montrésor, chez Bueil. J'ai disposé des chevaux dehors à tout hasard. Qu'un homme aille prévenir Bueil. Qu'il ligote et bâillonne Gilles de Rais et qu'il nous rejoigne en bas ! En un clin d'œil, La Trémoille ne fut plus qu'un énorme paquet gémissant dont les yeux affolés roulaient dans leurs orbites au-dessus du bâillon.
À cet instant, Olivier Frétard, qui était demeuré en bas, accourut.
— Le Roi est réveillé. Il demande ce que veut dire ce vacarme. Il envoie ses gardes.
— Vite, emportez-le, cria Gaucourt. Je vais chez le Roi...
En quelques instants tout fut réglé, sous l'œil stupéfait de Catherine dont les hurlements de La Trémoille avaient glacé le sang. Dix hommes parvinrent à emporter la masse inerte et sanglante du gros homme. L'escalier fut dégringolé plus que descendu, la cour traversée en un clin d'œil, la poterne franchie. Pierre de Brézé avait voulu entraîner Catherine à la suite des autres, mais cette scène de boucherie, l'odeur du sang répandu avaient eu raison de sa résistance.
Elle était tout doucement en train de s'évanouir auprès du grand lit. Le jeune homme la retint au moment où elle allait tomber à terre et l'emporta en courant.
En arrivant dans la cour, l'air frais de la nuit ranima Catherine. Elle ouvrit les yeux, vit le visage de Brézé tout près du sien et le regarda sans comprendre. Mais la mémoire lui revint aussitôt et, d'un souple mouvement de reins, elle se laissa glisser des bras qui la tenaient.
— Lâchez-moi, s'écria-t-elle. Merci, messire... Où est La Trémoille
? Qu'en a-t-on fait ?
Du geste, Pierre désigna la troupe qui dévalait le sentier vers la ville semblable à quelque énorme mille- pattes.
— Tenez ! On l'emporte. À Montrésor. Il sera jugé.
Une vague de sang monta au visage de la jeune femme.
— Et sa femme ? fit-elle rageusement. Allez-vous la laisser en paix ici ? Elle est pire que lui et le la hais plus encore que je n'ai haï son époux.
On ne peut pas l'atteindre, Catherine... Elle a ses appartements dans le château du Milieu, près du logis du Roi. Il faut partir, maintenant.
— Ah vraiment ? cria Catherine
Weitere Kostenlose Bücher