Catherine et le temps d'aimer
un coin de son voile, essuyait le sang des commissures.
— Maintenant... fit le petit médecin. Doucement, tout doucement ! Nous pouvons le tuer en ôtant cette lance.
Arnaud tira. Pouce par pouce, l'arme meurtrière glissa, remontant des profondeurs de la poitrine... Catherine retenait son souffle, craignant que chaque respiration de Gauthier ne fût la dernière. Les larmes brouillaient ses yeux, mais elle les retenait courageusement.
Enfin, la lance vint tout entière et Arnaud, d'un geste de colère, la jeta loin de lui tandis que le médecin se hâtait, au moyen de tampons que Marie avait hâtivement fabriqués avec ce qui lui était tombé sous la main en fait de tissus, d'étancher le nouvel écoulement de sang causé par le retrait de l'arme.
Autour d'eux, le silence s'était fait. Privés de leur chef, les brigands s'étaient enfuis sans que Mansour se donnât la peine de les poursuivre. Côté rebelles, les survivants du combat revenaient vers le groupe, formaient autour un cercle silencieux. Mansour essuya tranquillement son cimeterre avant de le raccrocher à sa ceinture puis se pencha sur le blessé. Son regard sombre croisa j celui d'Arnaud.
— Tu es un vaillant guerrier, seigneur infidèle, mais ton serviteur aussi est un brave ! Par Allah, s'il vit, je le prends comme lieutenant.
Penses-tu le sauver, médecin?
Abou, qui avec son habileté habituelle avait mis à nu la poitrine blessée, aidé par Catherine, hocha la tête d'un air de doute et la jeune femme constata, avec un affreux serrement de cœur, que son front ne se déridait pas.
— Sauvez-le ! supplia-t-elle ardemment. Il ne peut pas mourir !
Pas lui...
— La blessure semble profonde ! murmura Abou. Je ] vais faire de mon mieux. Mais il faut l'enlever d'ici. On n'y voit plus.
— Transportons-le dans la litière, fit Arnaud. Le diable m'emporte si j'y remets les pieds !
— Tu es presque nu, sans souliers, coupa Catherine... et tu n'es pas sauvé !
— Qu'importe ! Je prendrai l'équipement de l'un des morts. Je refuse de rester sous cette défroque de femme qui me rend grotesque.
Ne peut-on avoir un peu de lumière ?
Haletant encore du combat, deux des guerriers allumaient des torches tandis que d'autres, avec d'infinies précautions, soulevaient Gauthier et, sous la direction attentive d'Abou, le transportaient dans la litière où, grâce à son infaillible prévoyance, le petit médecin avait entassé sous les matelas des vivres et des remèdes.
Les sommets neigeux dessinaient, dans la nuit, de gigantesques formes fantomales. Le vent se levait, hurlait dans la gorge comme un loup malade, et le froid venait.
— Il faut trouver un abri pour la nuit, fit la voix de Mansour.
Suivre cette route en corniche dans l'obscurité serait un suicide et nous n'avons plus rien à craindre des bandits de Faradj. Débarrassez le chemin, vous autres !...
Les « plouf » nombreux qui suivirent apprirent à Catherine que les morts s'en allaient par le chemin du torrent, ennemis et alliés fraternellement unis pour le dernier voyage. Arnaud, qui avait disparu un instant, revint, habillé de pied en cap, portant burnous blanc et casque enturbanné.
Le souffle glacial des sommets effilochait les torches. Avec beaucoup de précaution, on se remit en marche au long du dangereux chemin sous la conduite des porteurs de flammes. Mansour, tenant son cheval par la bride, allait en avant, cherchant un refuge quelconque.
La litière venait ensuite, à toute petite allure pour ne pas secouer le blessé auquel Abou, aidé de Catherine et de Marie, donnait les premiers soins.
Bientôt, la bouche noire d'une grotte s'ouvrit bien- heureusement sur le chemin, assez large pour qu'on pût y engager en partie la litière, une fois les chevaux dételés. Les hommes et les bêtes s'y entassèrent. On fit un feu autour duquel Catherine vint rejoindre Arnaud quand Abou n'eut plus besoin d'elle. Après avoir bandé la blessure, le médecin avait fait prendre à Gauthier un calmant pour essayer de le faire dormir, mais la fièvre montait et Abou ne cachait pas son pessimisme.
— Sa constitution exceptionnelle fera peut-être un miracle, dit-il à la jeune femme navrée. Mais je n'ose y croire...
Triste jusqu'à l'âme, elle vint s'asseoir auprès de son époux, se pelotonna contre lui et posa sa tête sur son épaule. Tendrement, il l'enveloppa de son bras et de son burnous en même temps, puis chercha ses yeux, lourds de larmes contenues.
— Pleure, ma
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