C'était de Gaulle - Tome II
l'OTAN. Les Américains appliquent simplement la doctrine Monroe : l'Amérique aux Américains. Nous n'avons pas à participer au blocus de Cuba. Mais si la sécurité de l'Europe est en cause, ce qui est probable, nous agirons aux côtés de nos alliés. Si c'est la guerre, nous la ferons aux côtés des Américains.
« Et maintenant, le Conseil doit donner son avis. J'avais préparé quelques mots... Je vous les soumets. »
Couve lit le texte, écrit de la main du Général, qu'il me remet à la sortie. Le Général veut engager nos responsabilités :
« Le Conseil des ministres a marqué la compréhension de la France à l'égard des inquiétudes suscitées à Washington par l'installation récente et croissante d'armes offensives soviétiques à Cuba... Le Conseil a examiné les conséquences qui pourraient éventuellement en résulter quant à la sécurité de l'Europe... Les engagements réciproques qui constituent l'Alliance atlantique sont et demeurent la base de la politique de la France. »
GdG : « Y a-t-il des observations ? »
Il n'y en a pas. Comment marquer une différence par rapport à celui qui incarne la nation, alors qu'il prend sur lui, devant le risque de guerre, d'effacer tout ce qui le sépare des Américains ?
« Quand un allié est gravement menacé, on se met aussitôt à ses côtés »
Au Conseil du 31 octobre 1962, Couve fait le point de l'affaire de Cuba, heureusement terminée depuis le dernier Conseil. Dans un message adressé à Kennedy, Khrouchtchev a offert de démanteler les fusées soviétiques à Cuba et de tout ramener en URSS, si les États-Unis acceptaient de démanteler simultanément leurs fusées en Turquie et de renoncer à leur politique agressive.
« Kennedy a répondu qu'il n'admettait pas le chantage de la réciprocité Cuba-Turquie 2 , mais qu'il était prêt à suspendre aussitôt le blocus si les Soviétiques démantelaient leurs engins.
« Kennedy avait donné l'impression de flotter lors de l'affaire ratée du débarquement à Cuba, dans la baie des Cochons, en 1961. Son hésitation a incité les Soviétiques à prendre une attitude offensive.
GdG. — C'est une affaire grave. Elle aurait pu mal tourner. Elle a bien tourné parce que les Américains ont eu un sursaut.
« Il me suffisait de répondre à Acheson que nous les laissions faire, notre Alliance ne s'étendant pas aux Caraïbes. Mais si le conflit devait s'étendre à l'Europe, il n'y a pas de question, l'Alliance atlantique devrait jouer pleinement.
« J'ai reçu Bohlen 3 le samedi 27. Je lui ai redit : "Je comprends l'attitude américaine. Nous ne nous mêlerons pas de cette affaire sur place, mais, si c'est la guerre, nous la ferons avec vous." (La formule même qu'il a utilisée, devant le Conseil, trois jours plus tôt.)
« C'est la première fois de leur vie que les Américains sont menacés directement. Pour nous, c'est une vieille habitude : les Anglais et les Allemands nous ont régulièrement envahis.
« Eux, ils ont sursauté. Tout leur dispositif de défense est orienté vers l'Est surtout, vers l'Ouest accessoirement, pas du tout vers le Sud. Je leur ai donc dit : "Sachez que si la guerre devait s'étendre, la France vous appuiera. Quand un allié est gravement menacé, on se met aussitôt à ses côtés."
« Bohlen m'a répondu : "Si, d'ici quarante-huit heures, l'affaire n'est pas réglée, nous engagerons les opérations militaires. Cela nous donne un grand courage, de savoir que nous pouvons compter sur vous."
« Il y a eu un sursaut national aux États-Unis, qui sont prêts à se battre pour se protéger »
« Dans la journée du lendemain, Khrouchtchev s'est dégonflé. Les conséquences pour l'Alliance atlantique ne devraient pas être mauvaises. J'ai été persuadé, dès le début, qu'il en sera de même pour Berlin. Car les États-Unis ont senti qu'en étant fermes, ils pouvaient obliger la Russie à reculer.
« Il ne tient qu'à l'Occident que les Russes reculent une fois de plus. Mais il est possible qu'ils cherchent une compensation. Nous verrons bien.
« Notre attitude a été sobre et claire. Macmillan m'a écrit plusieurs fois, en se contredisant. Nos autres alliés ont manifesté le même désarroi. Finalement, nous aurons été les seuls, de toute l'Alliance, à prendre une position solidaire. Il suffit de savoir ce qu'on veut. »
Au Conseil du 7 novembre 1962, Couve décrit les effets de la crise : « Pour les Russes, c'est une perte de prestige du
Weitere Kostenlose Bücher