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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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comité expliquera les raisons de la mutinerie. Il adressera des appels au peuple d’Odessa, aux régiments de cosaques et au consul de France. Enfin, il prendra contact avec le parti social-démocrate local.
    À bord, le coffre du Potemkine renferme 24 000 roubles. Matushenko tient essentiellement à ce que tout se passe dans les règles. Les hommes qu’il envoie à terre sont munis d’argent pour les achats de vivres et de combustibles. Une chaloupe débarque peu après l’aube. Une heure plus tard, la dépouille de Gregory Vakulinchuk est descendue dans un canot. On a épinglé sur sa vareuse une pancarte : « Devant vous repose le corps du marin Gregory Vakulinchuk, sauvagement abattu par le commandant en second du cuirassé Potemkine parce qu’il s’était plaint de la mauvaise qualité du bortsch . Signons-nous en disant : “Paix à ses cendres.” Vengeons-nous sur ses oppresseurs. Mort aux tyrans ! Vive la liberté ! »
    Dans le canot, une garde d’honneur en armes a pris soin d’emporter une voile et des espars. Dès après l’accostage à quai, cette garde va s’en servir pour monter une tente. On y dépose le cercueil ouvert où repose Vakulinchuk. Quatre marins, baïonnette au canon, se figent de part et d’autre de ce catafalque improvisé, qui devient le point de mire immédiat de la curiosité passionnée d’une foule vite rassemblée. Une heure plus tard, toute la population d’Odessa se dirige vers cette voile grisâtre et rectangulaire sous laquelle repose un martyr.
    À 10 heures du matin, l’étudiant Feldmann descend vers le port par l’escalier Richelieu : deux cent quarante marches que l’on doit, comme la ville moderne d’Odessa, au duc de Richelieu, émigré français. Quand il se trouve mêlé à cette foule compacte, Feldmann ne comprend pas. La veille au soir, les manifestants désespérés rentraient chez eux. Maintenant, ils semblent tout joyeux, excités et courent vers les quais. Alors seulement, il aperçoit la silhouette du Potemkine  : « Je restai là, stupide, frappé d’extase devant la merveilleuse apparition. Mais l’heure n’était plus à la contemplation… Il fallait se hâter, conclure ce qui avait été commencé… se jeter dans la bataille finale… Et, avec l’exaltation d’un soldat qui verrait surgir de puissants renforts à l’heure même de la retraite, je me précipitai vers le port. »
    Quand il aperçoit la tente, quand il découvre le cadavre de Vakulinchuk, tout lui devient clair.
    À côté de la tente, on a disposé une sébile. Des femmes et des hommes – pourtant si pauvres – y jettent leur obole. De temps en temps, le matelot Brzhezovsky monte sur une caisse :
    — Marins, ouvriers, dockers, quittez vos bateaux, abandonnez vos établis et marchons ensemble sur la ville. L’arme à la main, sous la protection du Potemkine , nous pouvons gagner notre liberté !
    Ceux qui l’écoutent se montrent bouleversés. Des femmes pleurent. Brzhezovsky le racontera : « Il était impossible de bouger. Tout le monde voulait voir le mort. Beaucoup s’approchaient, se découvraient, se signaient et s’inclinaient devant la victime de la cruauté et de la tyrannie. Des femmes pleuraient et baisaient la main du héros populaire. On entendait des sanglots et il y avait des larmes dans les yeux de bien des hommes. »
    Peu à peu, des agitateurs représentant tous les mouvements politiques révolutionnaires ont rejoint la tente. Sur des estrades improvisées, ils haranguent la foule. À leurs appels enfiévrés, les hommes, les femmes répondent par des acclamations. On voit jaillir des drapeaux rouges, confectionnés en hâte.
    Soudain, cette foule se met en marche. Elle veut gagner le centre de la ville. Elle possède ce qui lui faisait défaut la veille : la force. Derrière elle, les canons du Potemkine sont braqués sur Odessa. Les premiers groupes de manifestants s’engagent dans l’escalier Richelieu. Ils ne savent pas – comment le pourraient-ils ? – que vers midi un ordre du tsar est parvenu à l’adresse du général Kokhanov. Il faut à tout prix éviter la guerre civile. Le tsar estime que le général ne doit pas laisser la situation s’aggraver davantage. On lui laisse le choix des moyens.
    Kokhanov n’est plus sûr de grand-chose à Odessa. Sauf des cosaques. Quand il apprend que des manifestants gravissent en foule l’escalier Richelieu et que l’on risque de nouveaux désordres dans la ville, il

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