C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Personne. Recru d’amertume, il se dirige vers son bureau : où sont ceux qui devraient veiller à la sécurité ? Sûr d’une arrivée prochaine des soldats américains, ont-ils déserté ? Ou bien se sont-ils ralliés à la rébellion annoncée ?
Il s’assied à sa table de travail et appose machinalement son paraphe sur les documents qui sont proposés à sa signature. Après quoi, il se met en devoir de rédiger le message qui doit être transmis par câble à toutes les forces armées japonaises :
« L’empereur a pris sa décision. L’armée attend de vous que vous vous soumettiez à cette décision et que vous n’accomplissiez aucun geste susceptible d’entacher la glorieuse tradition et l’incomparable valeur militaire de l’Armée impériale. Conduisez-vous de manière à ne pas redouter le jugement de la postérité et rehaussez encore, par votre attitude, et aux yeux du monde entier, l’honneur et la gloire des Forces impériales japonaises…
« C’est avec une profonde douleur que le ministre de la Guerre et le chef de l’État-Major général vous lancent cet ordre et ils comptent que vous serez sensibles à l’émotion que ressentira l’Empereur en vous communiquant lui-même, demain à midi, à la radio, la proclamation mettant fin à la guerre. »
Il se relit, signe, rêve un instant, cherche ce qui lui reste à faire. Ah ! sa lettre de démission. Il la rédige, la signe.
À 21 h 30, doit se tenir une nouvelle séance du Cabinet. Sans joie, Anami se prépare à s’y rendre lorsque, sur le seuil de la pièce, se campe, très ému, le colonel Arao, chef du département des Affaires militaires. Anami connaît trop bien l’état d’esprit de son collaborateur. C’est avec beaucoup d’amitié qu’il s’adresse à lui :
— Je m’oppose à ce que vos jeunes officiers accomplissent un geste fou et héroïque. Le pays a besoin d’eux. Je leur demande de continuer à vivre. Surtout, pas de coup d’État ! Vous y veillerez.
Entre les deux hommes, l’émotion pèse :
— Et nous ? demande Arao. Qu’allons-nous faire ?
Le regard d’Anami se porte vers la fenêtre. Il ne rencontre que la nuit épaissie par la brume. Il se retourne vers son visiteur :
— Notre peuple est travailleur. Le Japon renaîtra de ses cendres. Et si, dans ce Japon nouveau, l’Armée ne joue plus de rôle, ses hommes, eux, le pourront. Tout particulièrement vous, Arao.
22 heures.
Avec une demi-heure de retard, le Premier ministre Suzuki ouvre la séance du Cabinet. L’heure est venue où toute discussion oiseuse doit être remisée dans le coffre aux souvenirs. Chaque terme de la proclamation impériale a été longuement pesé et fiévreusement discuté. Le document auquel on s’est arrêté s’étale, là, sur la table, admirablement calligraphié dans le style ancien, par le meilleur copiste que l’on ait pu trouver.
En haut de la première page, une signature déjà, celle de l’empereur.
Il n’est plus question qu’un seul des présents ne se dérobe. En preuve, le Premier ministre imprègne lui-même son pinceau d’encre de Chine et, le premier, trace les caractères de son nom :
SUZUKI KANTARO
Au ministère des Affaires étrangères, on attend fébrilement que tous les membres du Cabinet aient apposé leur signature sur le document. À cet instant historique, le message qui met fin à la guerre pourra être câblé en Suisse et en Suède d’où ils seront transmis aux États-Unis, à la Chine, à la Grande-Bretagne et à l’Union soviétique. Les gouvernements des quatre pays apprendront alors que :
« 1°) Sa Majesté l’Empereur a lancé une proclamation impériale annonçant l’acceptation par le Japon des conditions de la Déclaration de Potsdam.
« 2°) Sa Majesté l’Empereur est prête à sanctionner et à assurer la signature, par son Gouvernement et le Quartier Général impérial, des clauses permettant de rendre effectives les conditions de la Déclaration de Potsdam. Sa Majesté est également prête à donner l’ordre aux chefs des Armées de Terre, de Mer et de l’Air du Japon, ainsi qu’à toutes les Forces placées sous leur commandement, où qu’elles se trouvent, de cesser toutes opérations, de mettre bas les armes et de transmettre les ordres requis par le commandant suprême des Forces alliées pour que soient mises à exécution les conditions ci-dessus mentionnées. »
23 h 45.
Au palais impérial, dans
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