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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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début de leur captivité, une quasi-unanimité de ces hommes s’est ralliée à une très ancienne tradition de l’armée polonaise : la prière du soir en commun. Lorsque les punitions ont commencé à pleuvoir, ils ont décidé de remplacer les prières à haute voix par quelques minutes de silence. Chaque soir, vers 21 heures, une voix forte ordonne :
    — Silence, s’il vous plaît !
    « Aussitôt, s’est souvenu un témoin, tout mouvement s’arrêtait dans cette ruche humaine et chacun s’immobilisait… Les bruits étrangers du dehors étaient assourdis par l’épaisseur des murs de l’église. Les hommes de diverses croyances, catholiques romains, protestants, orthodoxes, juifs, libres penseurs, tous observaient ces quelques minutes de silence en signe de leur foi commune à une vie spirituelle. »
    Un jour mémorable : celui où l’on a vu arriver les hommes du NKVD. Nul n’ignore que ces initiales signifient Commissariat du peuple aux Affaires intérieures. La principale fonction du NKVD est « l’exécution d’ordres spéciaux émanant du Comité central du parti, pour la protection de l’ordre révolutionnaire », mais aussi « d’empêcher les actes de trahison des ennemis de classe. ». Dans cet ordre d’idée, ses pouvoirs sont illimités. Un individu peut être considéré « comme un ennemi de classe tout simplement parce que le NKVD en a décidé ainsi  (2)  ». Ce qui veut tout dire et on le sait.
    Curieusement, quand le NKVD prend le contrôle total de Kozielsk, les conditions matérielles – notamment la nourriture – s’améliorent. On en comprendra assez vite la raison : il faut que les prisonniers aient l’esprit parfaitement clair pour répondre aux interrogatoires. Ceux-ci vont désormais occuper la majeure partie de leur temps. Chacun est interrogé séparément. On est souvent appelé au milieu de la nuit. L’entretien dure parfois plusieurs heures.
    Inlassablement, on oblige le prisonnier à exprimer son opinion sur quantité de problèmes sociaux, politiques ou philosophiques, sur sa famille, son enfance, son adolescence, son âge mur, etc. On revient dix fois sur les mêmes questions : chaque contradiction est soigneusement enregistrée. Peu à peu, les hommes du NKVD en viennent à établir une biographie détaillée de chaque Polonais, laquelle est complétée par plusieurs photographies de l’intéressé prises sous tous les angles.
    Impossible de se méprendre sur les préoccupations fondamentales du NKVD. Il s’agit d’évaluer le degré d’antisoviétisme des prisonniers, cela en fonction « de leur grade, de leur profession, de leur milieu d’origine, de leur situation sociale, de leur attitude à l’égard du communisme en général et de l’Union soviétique en particulier ».
    L’impression ressentie par la presque totalité des officiers prisonniers à Kozielsk – et aussi bien par ceux des camps de Starobielsk et Ostachkov – correspond très exactement aux termes de la circulaire secrète n° 0054 dont – tant mieux pour eux – ils ignorent l’existence. Elle a été signée par le commissaire du NKVD en territoire polonais occupé par les Soviétiques et établit une définition précise de ceux « qui, en raison de leur passé politique ou social, de leur chauvinisme ou de leurs convictions religieuses » sont « les ennemis de la République soviétique ». Cette circulaire énumère douze catégories d’ennemis de l’URSS. La quatrième concerne tous les officiers , quel que soit leur grade, ainsi que les officiers de réserve, la profession d’origine représentant un élément essentiel du jugement que l’on portera sur l’intéressé.
     
    L’homme qui exerce l’autorité absolue sur toute l’équipe du NKVD s’appelle V.M. Zarubine. Un général. Les prisonniers ont pris l’habitude de le surnommer le « Kombrig ». Ce qui ne manque pas de les étonner, c’est la courtoisie qu’il manifeste à leur égard. On lui trouve même une « touche de distinction ». Il ne manque pas de rendre les saluts et les accompagne souvent d’un sourire amical. Parlant couramment le français et l’allemand et ayant des connaissances d’anglais, il lui arrive même de s’adresser à l’un ou l’autre et d’entamer une conversation. Il s’en explique volontiers :
    — Nous appartenons à deux mondes différents, mais j’aime à discuter de nos divergences avec un homme instruit du monde d’en

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