C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
apparaître d’un moment à l’autre. Contrairement à notre attente, non seulement aucun d’eux ne se présenta, mais sur les centaines d’hommes qui arrivaient de tous les points cardinaux et passaient par notre bureau, personne ne fut en état de nous donner la moindre nouvelle sur eux. Cela nous semblait incompréhensible. »
Pour Joseph Czapski, le sort de ces officiers devient une idée fixe. D’autant plus qu’il a séjourné à Starobielsk. Il y a noué d’inoubliables amitiés. Dans les premières semaines de 1940, avec une soixantaine d’autres officiers, il a été tiré de ce camp et on l’a transféré au camp de Griazovietz. Il ne l’a quitté que lors de la création de l’armée polonaise d’Anders. À Griazovietz, il a retrouvé environ quatre cents prisonniers de guerre polonais, presque tous officiers, provenant comme lui de Starobielsk, de Kozielsk ou d’Ostachkov. Pourquoi ont-ils bénéficié d’un tel privilège ? La plupart ne l’ont jamais su. Après la guerre, Czapski a appris que d’éminentes personnalités occidentales étaient intervenues en faveur de l’artiste qu’elles admiraient : les peintres Sert et Jacques-Emile Blanche, la reine mère de Belgique, mais aussi le Vatican et la Croix-Rouge. Ce qui est sûr, c’est que ce transfert lui a sauvé la vie.
Les jours passent. À la commission de recensement, on commence à envisager le pire. Certains osent parler d’une « liquidation préméditée » des officiers polonais. Deux témoignages concordants retiennent particulièrement l’attention. Leurs auteurs, des femmes, affirment que deux énormes péniches, portant sept mille officiers et sous-officiers polonais, ont été coulées, en 1940, dans la mer Blanche.
Une telle horreur est-elle concevable ? Peut-on admettre que les Soviétiques aient délibérément liquidé la quasi-totalité des officiers polonais prisonniers ? Longtemps, à Totsk, on s’y refuse. D’autant plus que d’autres informations signalent que dans la Kolima, région voisine du Kamtchatka, de très nombreux prisonniers polonais ont été affectés aux mines d’or et à la construction de camps d’aviation. Deux officiers à cet égard fournissent des détails extrêmement précis. La Kolima, disent-ils, est un pays uniquement peuplé par les prisonniers et leurs surveillants. Il s’agit d’un « réseau de camps et de mines situé le long du fleuve Kolima qui tombe dans l’océan Glacial entre la Léna et le golfe de Behring ». Un pays très riche « en cuivre, or, argent, plomb et charbon ». Un climat « particulièrement rigoureux » : on y connaît, dès septembre, des froids de – 30°. D’après le capitaine Z…, « c’était en avril et mai 1940 qu’on avait envoyé au camp de transit de Boukhta-Nakhodka plusieurs milliers de Polonais, parmi lesquels il y avait des officiers, qu’on avait déportés de là dans les territoires de la Kolima ».
Un autre militaire confirme : « 70 pour cent des effectifs d’un seul camp de travail moururent de froid durant l’hiver de 1940-1941. » Il certifie que « des transports de 6 000 à 10 000 Polonais partirent de Boukhta-Nakhodka justement à partir d’avril 1940. » Cette date, remarque Joseph Czapski, concorde « avec celles de la liquidation des camps de Starobielsk, de Kozielsk et Ostachkov ».
Czapski n’en montre que davantage d’énergie à vouloir « récupérer » ses camarades. Il rédige un rapport détaillé sur le sort des Polonais encore prisonniers et le porte lui-même au colonel Okulicki, chef d’état-major de l’armée polonaise. Lui aussi sort des prisons soviétiques où, d’ailleurs, on lui a cassé toutes les dents. Il écoute Czapski avec une extrême attention, s’empare de son rapport et promet que des démarches seront aussitôt entreprises « à l’échelon le plus élevé ».
De son côté, Anders tempête. Il s’adresse directement aux autorités soviétiques : où sont les officiers, cadres naturels de l’armée dont on lui a confié le commandement ? Du 16 au 29 août 1941, il rencontre six fois le général Panfilov qui commence par estimer à 20 000 le nombre des militaires polonais prisonniers en URSS, y compris les officiers. Anders lui apporte une contradiction sévère : dans les seuls camps de Kozielsk, Starobielsk et Ostachkov, on comptait en mars 1940 plus de quinze mille officiers ! L’étonnement manifesté par Panfilov semble
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