C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
les cent pas dans le couloir. Un peu plus tard, il perçoit des allées et venues précipitées dans le wagon voisin, puis le bruit d’un moteur, puis des cris. À tout prix, Swianiewicz veut savoir. À l’exception d’une petite lucarne placée près du plafond, les wagons blindés n’ont pas de fenêtres. Il se hisse sur le porte-bagages placé en haut du compartiment. Il s’y allonge. Au garde inquiet que le bruit de cette manœuvre attire, il déclare tranquillement qu’il veut dormir. Le garde retourne dans le couloir. Alors Swianiewicz voit : « Nous avions dépassé la gare. Devant nous s’étalait un grand terrain partiellement recouvert d’herbe. Une route perpendiculaire à la voie ferrée longeait la partie gauche de ce terrain. Des gardes du NKVD, armés de baïonnettes et de fusils, cernaient le terrain. Ils se tenaient à deux mètres environ les uns des autres. Un car de voyageurs aux vitres barbouillées au blanc d’Espagne attendait sur le terrain… [Son] entrée était à l’arrière, exactement à la hauteur des wagons, de sorte que les prisonniers pouvaient y pénétrer directement sans descendre du train. De chaque côté de la portière du car, les hommes du NKVD montaient la garde. Deux d’entre eux avaient mis baïonnette au canon. Trente hommes environ entrèrent dans le car qui partit en direction des bois. Il revint à vide au bout d’une demi-heure et il emporta un deuxième groupe de prisonniers. Un colonel du NKVD, celui qui m’avait séparé du convoi, commandait l’opération.
« Lorsque tous les voyageurs eurent quitté les wagons, je fus remis à un capitaine du NKVD qui était également le gouverneur de la prison de Smolensk. Il me fit monter dans une voiture cellulaire qui me conduisit jusqu’à la prison “intérieure”de Smolensk, dans les cachots du NKVD. »
Swianiewicz est sauvé. Tous les autres vont mourir.
En juin 1941, Hitler entre en Russie. Ses armées écrasent tout sur leur passage. Les Soviétiques refluent en désordre, les prisonniers se comptent par centaines de milliers. Assiste-t-on à une réédition de l’écrasement de la Pologne en 1939, de celui de la France en 1940 ? Les divisions allemandes parviennent jusque sous les murs de Moscou. L’hiver russe les immobilise.
La Pologne est tout entière occupée par le même ennemi. Son martyre restera l’une des pages les plus sombres de l’histoire de ce siècle. Staline qui, un an et demi plus tôt, la piétinait allègrement, s’avise soudain que la cause de l’indépendance polonaise peut se révéler « payante ». Le gouvernement polonais en exil siège à Londres. Staline lui adresse ses sourires diplomatiques les plus amènes.
On négocie. Poussés par un Churchill pour qui l’efficacité prime toute autre considération, les Polonais se résignent à oublier l’agression de 1939. Le 30 juillet 1941, le général Sikorski, chef du gouvernement en exil, signe à Londres avec M. Maisky, ambassadeur russe en Grande-Bretagne, un traité par lequel l’Union soviétique, après la victoire des Alliés sur l’Allemagne, s’engage à restituer à la Pologne les territoires dont elle s’est emparée en 1939. Les deux parties conviennent qu’une armée polonaise sera constituée en Russie. On y rassemblera les prisonniers polonais, militaires et civils, qui s’y trouvent détenus depuis septembre 1939.
Pour organiser et commander cette armée, le gouvernement polonais en exil désigne le général Anders. On s’aperçoit que celui-ci est détenu à la Lubianka, trop célèbre prison moscovite. Le NKVD se hâte de l’en tirer.
Pour constituer la nouvelle armée polonaise, il faut en rechercher les éléments à travers toute l’immense Russie. À l’initiative d’Anders, une enquête commence. Elle va durer longtemps, très longtemps. Un officier, le commandant Czapski, s’y consacre corps et âme. Je l’ai rencontré en 1967, lors de la préparation d’une émission de la Tribune de l’Histoire (5) . J’ai apprécié les remarquables qualités d’esprit de ce peintre de talent. En 1925, il était venu découvrir à Paris l’école picturale nouvelle. « Un beau jour de l’année 1924, raconte Daniel Halévy, une poignée de jeunes Polonais débarquèrent à Paris, ayant en poche une finance valable pour une excursion de six semaines à travers musées, expositions, cafés – les cafés illustres de Montparnasse, fameux par les Picasso et les
Weitere Kostenlose Bücher