C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
autres afin que l’on pût ouvrir son procès. Incroyable absurdité, logique admirable du système policier soviétique.
Quand, le 29 avril 1940, Swianiewicz a été emmené, le printemps faisait enfin son apparition. Il parle d’une « belle journée ensoleillée ». Il commence néanmoins à se poser des questions en remarquant l’attitude du commandant du camp. Pourquoi le colonel « au visage pourpre » surveille-t-il tout cela avec une attention aussi vigilante, « les mains dans les poches d’un long manteau » ? Pourquoi surtout ces « précautions extraordinaires », pourquoi ces baïonnettes ? Il reconnaîtra néanmoins : « À cet instant, devant l’éclat de cette journée printanière, l’idée ne m’effleura pas qu’il pût s’agir d’une exécution. »
Un souvenir le hantera : celui d’un lieutenant de vingt-six ans, son camarade de combat en septembre 1939 et que l’on avait amené de Wilno avec une jambe blessée. Au moment où on l’a appelé à quitter le camp, « quelque chose d’étrange a paru dans le regard de ce garçon qui, jusqu’à présent, avait supporté avec humour et confiance en sa bonne étoile tous les coups du sort et toutes les souffrances. Ce n’était pas de la peur, mais comme si un abîme s’ouvrait sous ses pieds. Puis, il se domina et nous dit adieu avec humour, comme d’habitude. Ce fut le seul cas où j’ai vu, chez ceux qui partaient de Kozielsk, quelque chose comme le pressentiment du sort qui les attendait à l’aube du lendemain ».
Quel sort ?
À peine sortis du camp, on entasse les groupes dans de grands camions et on les conduit jusqu’à la station de chemin de fer de Kozielsk. Là, on les fait monter dans des wagons blindés que l’on cadenasse derrière eux. On lit, à la date du 8 avril, dans l’un des agendas retrouvés : « Nous sommes montés dans un train blindé sous bonne escorte… Nous roulons dans la direction de Smolensk…» Stanislaw Swianiewicz, le seul épargné, confirme : « Nous avons quitté Kozielsk tard dans la soirée… Au lever du soleil, nous arrivons à Smolensk. » Un autre, à la date du 9 avril : « Impossible de nous rendre compte de la direction que nous prenons… Mauvais traitements… Rien n’est autorisé. »
Après un arrêt à Smolensk – certains ont dû le juger interminable – le train se remet en marche. Cela ne dure guère : le temps de franchir moins de vingt kilomètres. L’agenda d’un prisonnier anonyme indique néanmoins que les étapes ont été de plus ou moins longue durée : « 14 h 30, arrivons à Smolensk… Le soir, sommes arrivés à la gare de Gniezdovo. »
Ces agendas montrent que de telles notations ont été rédigées sur le moment même : « Dimanche 7 avril 1940. Matin. À 11 h 40, on nous ordonne de faire nos valises. À 14 h 55, fouille des affaires et nous quittons le camp de Kozielsk. À 16 h 55, on nous fait monter dans le train. Lundi 8 avril, 3 h 30, le train quitte la gare de Kozielsk. À 11 h 40, nous sommes à la gare de Smolensk. Mardi 9 avril. À 5 heures du matin, on nous fait descendre du train. Que va-t-il se passer ? » L’agenda du commandant Adam Solski : « Mardi 9 avril. La journée a commencé de façon singulière. Départ dans une voiture cellulaire composée de petits compartiments (horribles). Ils nous déposent dans une forêt, une sorte de maison de repos. Ici, fouille spéciale. Ils me prennent tout. Ma montre, mes roubles, mon anneau, mon canif, mon ceinturon…» C’est sur ces mots que l’agenda se ferme.
La dernière phrase du sous-lieutenant Jan Bartys : « Venons d’arriver à Gniezdovo, je vois des hommes du NKVD échelonnés entre la gare et les bois. »
Dans les wagons, l’attente. Le qui-vive, la peur. L’un des prisonniers griffonne sur son agenda : « Il paraît que nous allons descendre… Quantité d’uniformes autour de nous. Nous n’avons eu depuis hier qu’un morceau de pain et un peu d’eau. » Le journal s’arrête là. Il sera retrouvé trois ans plus tard, ainsi que les autres agendas, sur l’un des cadavres enfouis dans la forêt de Katyn.
Un colonel du NKVD surgit dans le compartiment où se trouve le professeur Swianiewicz. Il hurle son nom, lui jette au visage :
— Vous allez être séparé du convoi ! Rassemblez vos affaires !
Conduit dans un wagon vide où on l’enferme dans un compartiment, Swianiewicz entend un soldat faire
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