Chasse au loup
approchaient lentement, craignant que la précipitation n’effraie Knerkes et ne l’amène à tenter un geste désespéré. Les deux Français marchaient avec détermination, le pistolet au poing.
Relmyer demanda à Knerkes :
— Pourquoi ces mutilations en forme de sourire ?
Knerkes ne répondit pas car il voyait que son silence déstabilisait son adversaire.
— Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? s’obstinait Relmyer.
Knerkes avait compris qu’il ne risquait pas de l’emporter sur Relmyer dans un corps-à-corps. Il attaqua donc instinctivement celui-ci au niveau de son point faible : l’esprit.
— Tu ne peux pas me tuer, annonça-t-il d’une voix débordant d’assurance. C’est toi qui es mon prisonnier, mon petit Lukas.
Relmyer eut l’impression que quelque chose s’écroulait en lui. Il se retrouvait dans une situation semblable à celle qu’il avait vécue autrefois, or voilà que le passé dévorait le présent ! En dépit de son âge, de son uniforme de lieutenant des hussards et de son sabre redoutable, Relmyer se sentit frêle et sans défense, pareil à un adolescent affaibli.
Il fixa les gouttes de sang qui se faufilaient entre les doigts joints de Knerkes. Il se répétait qu’il connaissait plus de cinquante attaques différentes qui pouvaient terrasser cet homme de manière fulgurante. Mais Knerkes arborait la même expression dominatrice que lorsqu’il les avait menacés avec son arme, Franz et lui.
— Tu n’as pas changé, ajouta Knerkes. Rien n’a changé.
Sur quoi, avec l’audace stupéfiante de celui qui n’a plus rien à perdre, il tourna le dos à Relmyer, libéra son cheval et l’enfourcha. Relmyer demeura pétrifié. Margont se mit à courir.
— Il s’enfuit ! hurla Lefine.
Au moment où Knerkes lançait sa jument au galop, Lefine fit feu, mais rata sa cible. La détonation tira Relmyer de sa torpeur. Tous les trois se ruèrent sur leurs chevaux, qu’ils avaient dissimulés assez loin pour éviter que la monture de Knerkes ne sente leur présence et ne se mette à hennir. Ni Margont ni Lefine ne firent de reproches à Relmyer. Celui-ci était plus désemparé que jamais. Mais, à chaque pas, il se ressaisissait un peu plus. Le duelliste en lui, comme le hussard, l’exhortait à contre-attaquer. Il fut le premier en selle.
Knerkes avait pris de l’avance. Sa silhouette noire se déplaçait à toute allure dans les plaines. Il se dirigeait vers l’ouest, vers le Danube. Il voulait semer ses poursuivants dans le labyrinthe marécageux du fleuve. Relmyer dépassa Margont et Lefine. Son cheval, en harmonie avec son maître, avait compris que Relmyer désirait par-dessus tout rattraper ce fugitif. Cette jument déployait donc une énergie peu commune. Bientôt apparut la longue bande bleue du Danube que le foisonnement des bois dissimulait par endroits.
Knerkes atteignait les premiers arbres. Relmyer rengaina son sabre et empoigna l’un de ses pistolets d’arçon. Bien qu’en plein galop, il visa soigneusement la monture de Knerkes. Le coup atteignit la croupe de la jument. Un excellent tir à la hauteur de la réputation des hussards. Knerkes pressait sa bête, mais celle-ci trottait maintenant avec peine, ses pattes arrière s’affaissant régulièrement. Knerkes prit son second pistolet d’arçon, mais sa main, affaiblie par la blessure, faillit le lâcher. Il le saisit donc de la main gauche. Relmyer fit feu avec sa deuxième arme et blessa une nouvelle fois la monture de Knerkes. Cette fois, la jument s’immobilisa. Knerkes eut juste le temps de mettre pied à terre avant qu’elle ne s’effondre sur elle-même. Il se mit à courir entre les arbres et les fourrés. Son plan avait échoué. Il ne risquait plus de semer ses adversaires. Il pouvait se cacher et tenter de les tuer les uns après les autres. Mais quelles étaient ses chances de succès ? Il ne voyait plus qu’une seule issue possible.
Relmyer arrêta son cheval et poursuivit à pied dans les bois. Autrement, il aurait offert une cible facile. Il cheminait prudemment, son sabre à la main, scrutant chaque cachette possible. La végétation, dense, l’enveloppait d’une gangue verte oppressante. La piste était aisée à suivre : il repérait des gouttes de sang sur l’herbe. Margont le rejoignit, armé d’un pistolet et d’une épée. Lorsque les deux hommes aperçurent à nouveau Knerkes, celui-ci avançait dans le Danube. Il avait déjà de l’eau jusqu’à la
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