Chasse au loup
bavarois... L’officier de permanence conclut ce discours en déclarant qu’il s’opposait à ce que Relmyer fouillât dans le Kriegsministerium.
Ce refus contrastait sensiblement avec le peu d’importance que l’on accordait encore à ces documents. Relmyer perçut ce qu’il y avait à deviner et étala des pièces de vingt et quarante francs sur le bureau de l’officier. Les pièces d’or brillaient sous le soleil comme une constellation dans un ciel d’ébène. Lefine se sentit tanguer. Le fou, qui transportait sur lui une somme pareille et l’offrait pour soudoyer un bureaucrate ! Relmyer brandit une deuxième poignée qu’il se mit à déverser avec mépris, pièce par pièce, bruyamment. Le capitaine ramassait aussitôt chacune d’elle avec la voracité d’une poule picorant des graines. De sanguin il vira à l’écarlate. Il y avait là des mois de solde, une partie de la vie de soldat de Relmyer.
— Venez quand vous voulez, déclara servilement l’officier. Je vous ferai avertir si jamais il vous faut vous cacher à cause d’une visite imprévue. Les archives sont entreposées à ce niveau et à l’étage. On en trouve aussi beaucoup au sous-sol et sous les combles, mais celles-ci sont plus anciennes.
À ce moment-là, Relmyer connut un regain d’espoir, regain qui s’effondra dès qu’il eut passé la porte à double battant.
La pièce, haute et profonde, n’était qu’un gigantesque capharnaüm. Des papiers piétinés et des monceaux de registres jonchaient le parquet. D’interminables rayons tapissaient les murs du sol au plafond, tantôt encombrés de documents, tantôt vides pour avoir vomi leur contenu par terre... Lefine leva la tête, certain d’apercevoir une toiture en ruine. Parce que, selon lui, tout ici avait été dévasté par une pluie d’obus, lors du bombardement de Vienne. Mais non. Les Autrichiens avaient mis à sac leurs propres archives et les Français avaient doublé ce désastre, chaos ajouté au chaos. Margont s’accroupit et ramassa un rapport abîmé rédigé dans une langue qu’il ne put même pas identifier.
— On ne sait pas exactement ce que l’on cherche, ni même si c’est ici et tout est sens dessus dessous.
Relmyer se plaça au début d’un rayon et entreprit de lire les titres des documents. Trois mètres au-dessus de sa tête, à mi-hauteur de la pièce, une longue coursive en bois croulait elle aussi sous les feuilles. Lefine rejoignit Margont.
— On s’en va et on revient le chercher dans dix ans ? proposa-t-il aimablement.
Margont décida malgré tout d’aider Relmyer. Il tenta de rationaliser cette folie. Il proposa toutes sortes d’idées : utiliser des craies pour cocher les documents examinés, prêter plus d’attention aux rayons ravagés et aux rapports déchirés, car peut-être ceux-ci avaient-ils justement été sabotés parce qu’ils étaient plus importants, se faire aider par des amis comprenant l’autrichien – à condition de ne pas les transpercer, avait ajouté Lefine dans un murmure... –, essayer d’interroger ceux qui avaient inspecté ces lieux avant eux...
Cependant, peu à peu, la détermination de Margont ploya sous le poids de ces tonnes de notes manuscrites. Il s’excusa et quitta les lieux en compagnie de Lefine, abandonnant Relmyer, perché sur une échelle, esquif à la dérive dans un océan de papier.
CHAPITRE XIV
Le temps paraissait s’être figé, même si cette immobilité était le prélude à une accélération qui rétablirait le cours normal des choses. Les jours s’écoulaient, semblables à eux-mêmes dans les préparatifs militaires comme dans les moments de détente. Toutefois, une légère excitation s’emparait progressivement des esprits. L’Europe entière avait les yeux rivés sur ce fragment du Danube, petit ruban bleu qui séparait deux armées enivrées par leur propre gigantisme.
Les obligations du service avaient immobilisé Margont dans l’île de Lobau. Aujourd’hui, il bénéficiait d’une journée de liberté, enfin, tel était son point de vue qui ne concordait pas avec celui de l’armée. Il n’était pas supposé se déplacer sans autorisation, mais il le faisait sans cesse. L’armée française comptait une grande proportion de combattants qui ne possédaient pas du tout l’esprit discipliné du soldat de métier. Lors d’une inspection, Margont avait entendu un soldat tutoyer l’Empereur ! Pour se plaindre de ne pas avoir encore
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