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Chasse au loup

Chasse au loup

Titel: Chasse au loup Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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était enfermé dans l’abbaye de Saint-Guilhem-le-Désert. Pire que la privation de liberté – qui avait déjà généré une souffrance extrême –, il y avait eu cette pression exercée sur lui pour l’obliger à devenir un moine, c’est-à-dire, somme toute, quelqu’un d’autre que lui-même. À l’époque, sa famille avait estimé que, ce qui comptait, c’était ce qu’elle désirait, elle, et non ce que Margont souhaitait. C’était l’une des raisons fondamentales qui avaient fait que, par la suite, il était devenu un fervent partisan de la cause républicaine. Parce que la Révolution renforçait considérablement les droits de l’individu. Exister en étant lui-même, c’était finalement tout ce qu’il demandait. N’était-ce pas aussi ce que réclamaient Luise et Relmyer ? Mais, pour ce faire, eux devaient d’abord retrouver un homme.
    Dans son esprit, ses souvenirs d’enfance évoquaient un monstre. Une sorte d’énorme créature occupant encore aujourd’hui trop de place, obèse à force de s’être gavée de sombres émotions : rage, tristesse, abandon, haine, désarroi... Margont savait qu’il ne parviendrait jamais à la terrasser définitivement. Mais il voulait la mater, lui passer une bride et l’attacher quelque part, comme on le fait d’un cheval retors qui, une fois placé dans son enclos, ne risque plus de blesser quelqu’un. On ne changeait pas son passé, mais on pouvait modifier le regard que l’on portait sur lui. Si Margont parvenait à aider Luise et Relmyer à triompher de leur histoire, il se renforcerait tandis que sa propre bête irait se réfugier dans un coin de son âme. C’était du moins ce qu’il espérait. Voilà l’une des raisons pour lesquelles les victimes secouraient les victimes.
    Lefine avait raison sur deux points, en fait. Margont était amoureux de Luise. Cependant, quelque chose l’empêchait d’avancer plus encore vers elle, de tenter de la séduire : leurs passés respectifs et celui de Relmyer. Entre Margont et elle se tenaient les trois monstres qu’il combattait.
    Lefine s’approcha du rivage, intrigué.
    — Qu’est-ce que c’est que ce poisson ?
    Sur l’eau glissait un bateau équipé de trois canons légers et manoeuvré par une vingtaine de rameurs.
    — L’Empereur a décidé de faire construire une flottille pour patrouiller sur le fleuve et harceler les postes d’observation ennemis, répondit Margont. Il utilise aussi des embarcations pour intercepter ce qui flotte et qui pourrait abîmer les ponts. Il a garni je ne sais combien d’îles de soldats et de batteries, même celles situées au niveau de Vienne. Du coup, plus personne ne peut dire où il fera surgir son armée pour la bataille générale. Il fait accourir des renforts qu’il prélève dans tout l’Empire, il enchaîne les revues... Il est incroyablement actif alors que les Autrichiens attendent.
    — Ils n’attendent pas, ils se retranchent ! précisa Lefine, qui prônait la guerre défensive, car celle-ci était souvent bien moins meurtrière pour les défenseurs que pour les assaillants.
    — L’armée d’Italie du prince Eugène va affronter une nouvelle fois les Autrichiens de l’archiduc Jean. Si Eugène l’emportait, il viendrait nous renforcer et Napoléon lancerait probablement son offensive. La situation évolue sans cesse, le temps presse et nous, nous nous tenons là, avachis sous le soleil, sans idées ! Nous sommes déjà le 8 juin !
    — Allez donc fouiller les archives avec Relmyer !
    — Cela n’aboutira jamais. De toute façon, je lis mal l’autrichien, alors tenter de déchiffrer ces pattes de mouche qui parlent de je ne sais quoi...
    Quatre hussards apparurent au détour d’un bosquet : un adjudant du 9 e , deux cavaliers de la compagnie d’élite du T et un jeune sabreur du 5 e . La variété de leurs uniformes composait des chatoiements de couleurs animés par le pas coulant de leurs chevaux. On aurait dit d’étranges oiseaux alliant la vivacité du plumage des rouges-gorges au tempérament des rapaces.
    Ces hommes s’approchèrent de Margont. Le soleil jouait sur leurs brandebourgs dorés.
    — Seriez-vous par hasard le capitaine Margont ? interrogea fort courtoisement – trop courtoisement – l’adjudant.
    Ses lèvres rosées et sa moustache aux pointes enroulées sur elles-mêmes lui conféraient un air ridicule. Mais attention ! L’esquisse d’un sourire et vous vous retrouviez avec une

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