Chasse au loup
bondit en selle avec la magie des hussards. Margont tendit le bras pour tempérer sa fougue.
— Permettez-moi de vous avertir d’un grand danger : quatre hussards vous cherchent pour se battre en duel avec vous.
— Seulement quatre ? plaisanta Pagin.
Relmyer accueillit la nouvelle avec bonhomie. Il avait l’habitude et puis, de toute façon, il voulait se rendre quelque part et le reste du monde n’existait plus.
— C’est à cause de mon duel avec votre ami Pique-bois ? Je le regrette. C’est ainsi.
— C’est ainsi ? s’étrangla Margont. Partout autour de vous, on pointe des sabres dans votre direction et...
Il ne put même pas continuer sa phrase tant la tranquillité de Relmyer le décontenançait. Lefine se pencha vers lui.
— M’est avis que nous sommes deux beaux idiots.
Trois des quatre hussards en question venaient d’apparaître dans leur dos, l’air goguenard. Celui du 5 e régiment chevauchait en tête. Les deux cavaliers d’élite s’étaient placés à distance, de part et d’autre, prêts à encercler Relmyer si celui-ci tentait de fuir. L’adjudant Grendet demeurait invisible. Il se tenait peut-être tapi en embuscade, à quelques pas de là, ou alors il cherchait Relmyer ailleurs. Lefine se sentait pareil au lièvre qui, croyant avoir échappé au chasseur, voit soudain la truffe du chien fouiner dans l’entrée de son terrier.
— Ils nous ont suivis et nous n’avons rien vu ! Ah, je suis pourtant attentif !
— Qu’est-ce que ce contretemps ? s’énerva Relmyer.
— Vous m’en laisserez bien un, mon lieutenant ? interrogea Pagin, la main posée sur la poignée de sa lame.
Lefine s’éloignait déjà.
— Les hussards sont aussi tordus que leurs sabres !
— Souvenez-vous de votre promesse, déclara fermement Margont à Relmyer.
Relmyer se montra effectivement diplomate... Il exposa son projet d’expédition sans en expliquer les raisons et jura que celle-ci ne souffrait aucun délai. Il obtint un répit, mais les trois hussards exigèrent de l’accompagner, ce que Relmyer accepta. Ces hommes, persuadés qu’il tentait de se soustraire à eux, n’entendaient pas le perdre de vue. Relmyer, le sourire retrouvé, lança le départ d’un ample geste du bras. Trois duels le menaçaient, mais il en faisait autant de cas que trois grains de poussière sur sa pelisse.
CHAPITRE XIX
La petite troupe cheminait vers le nord. Elle avait contourné Vienne avant de s’engouffrer dans la forêt. Margont, dénué de tout sens de l’orientation, était déjà perdu. Relmyer, en bon hussard, se montrait à l’aise dans les lieux hostiles. Il avait déployé des hommes en avant-garde et sur ses flancs. Il scrutait les environs, son regard semblant se faufiler entre les feuillages. Ces cavaliers vert et écarlate évoquaient quelques gouttes d’une sève sanglante perdues dans l’immensité végétale. Les arbres, titans aux branches surchargées de feuilles, les écrasaient de leurs verticales vertigineuses. Ils composaient une sorte de palais aux dimensions affolantes. S’il n’y avait pas eu la guerre, Margont aurait aimé se perdre ici.
Les trois duellistes suivaient Relmyer. Les deux cavaliers de la compagnie d’élite n’adressaient jamais la parole au hussard du 5 e régiment. Ils ne se connaissaient que parce que la lame de Relmyer avait aimanté les leurs. Cependant, Margont se disait qu’il était à peine moins insensé qu’eux. Ne se mêlait-il pas d’une affaire risquée pour des motifs complexes qu’il ne pouvait partager avec quiconque ? Finalement, une vingtaine d’hommes se trouvaient réunis là, mais pour des raisons fort différentes. Personne ne vit dans le même monde.
— C’est encore loin, mon lieutenant ? demanda Lefine.
Relmyer interrogea le guide en autrichien. Le dos de celui-ci se courba, comme si les questions de cet officier étaient des coups.
— Non, plus que deux lieues, monsieur, répondit-il avec crainte.
Margont parla à voix basse.
— Vous est-il vraiment impossible d’éviter ces duels ?
— Il est clair que je ne leur échapperai pas. Dès que nous aurons fini d’interroger ce Grich, je devrai en découdre avec eux.
— Pardon ?
Relmyer écarta mollement les mains.
— Comment aurais-je pu gagner un répit sinon en leur fixant rendez-vous ? Nous nous battrons à Mazenau. Tout le monde y trouve son compte : nous, nous ne perdons pas de temps, et eux, ils obtiennent ce
Weitere Kostenlose Bücher