Chasse au loup
sans s’en rendre compte.
— Voilà comment notre homme a procédé ! C’est ainsi qu’il s’y est pris pour entraîner Wilhelm avec lui. Wilhelm voulait rejoindre l’armée autrichienne et son assassin lui a fait croire qu’il allait lui servir de passeur et l’aider à s’enrôler.
La foule se disloquait, mais Margont ne la voyait plus.
— Il est impossible de traverser une rivière tout en menaçant quelqu’un avec un pistolet. De plus, franchir des lignes ennemies avec une personne qui souhaite se faire repérer pour être libérée ? Non, cela ne tient pas debout. Si cet assassin courait régulièrement autant de risques, il aurait été pris depuis longtemps. Il a dû découvrir que Wilhelm se montrait hostile aux Français.
— Comment ? questionna aussitôt Relmyer.
— Il doit parfois se rendre dans les environs de Vienne. Il l’a déjà fait au moins une fois, quand il a été surpris avec Wilhelm sur le chemin du retour.
Ces paroles renforcèrent chez Relmyer cette impression de menace invisible qu’il ressentait depuis tant d’années. Un danger latent, dénué de forme fixe, malléable, une sorte de densification de l’air, variable et oppressante.
— Il remarque un adolescent qui critique les Français... reprit Margont. Il pourrait tout aussi bien être ici, dans le public, et avoir noté le geste de ces deux garçons. Voyez comme c’est facile. Ce doit l’être plus encore lorsqu’on est autrichien, car on suscite les confidences. Il a considérablement amélioré sa « technique ». Au lieu de contraindre, il convainc. Il ne menace plus, il séduit. Il amène donc plus facilement sa victime là où il le souhaite, puisque celle-ci coopère. Il s’est adapté aux circonstances et il les utilise à son profit. Il choisit une personne du côté français et il l’entraîne du côté autrichien avant de s’en prendre à elle. Certes, il court des risques en traversant les lignes, des risques modérés, car il connaît particulièrement bien cette région boisée et marécageuse. Cependant, être à cheval sur les deux zones favorise ses plans. Un disparu du côté français sera recherché uniquement du côté français. Notre homme place donc sa victime hors de la portée de ceux qui voudraient la secourir.
Tout à ses déductions, Margont demeurait dans un univers fait de concepts, de théories et de spéculations. Ce cocon tissé d’idées le protégeait, tenant à distance les émotions sous-jacentes que Relmyer, lui, recevait de plein fouet. Ce dernier, le visage en sueur, le regard égaré, semblait prêt à basculer dans une direction imprévisible : la colère, l’abattement, le malaise...
— Où qu’il aille, articula-t-il, il ne se trouvera jamais hors de ma portée.
— Désormais, il choisit des personnes que les proches ne s’étonneront pas de voir figurer sur une liste de morts au champ d’honneur... Il dissimule encore mieux ses traces qu’auparavant.
Margont contempla à nouveau la longue ligne des régiments à laquelle s’adressait un général. Cette image était identique à celle de tout à l’heure. Mais, pour lui, elle venait de changer de sens. Elle paraissait maintenant menaçante. Elle ne le rassurait plus, au contraire, elle devenait l’alliée involontaire d’un danger. Les soldats rompirent les rangs, mur de sable dont les grains se dispersèrent rapidement.
— Plus des troupes arrivent, plus le moment de la bataille généralisée se rapproche. On peut presque dire avec certitude que celui que nous recherchons va tenter de s’en prendre à un autre adolescent avant le prochain affrontement. Quelle qu’en soit l’issue, la guerre se déplacera loin d’ici, poursuivant l’armée en retraite, ou s’interrompra. L’assassin a donc intérêt à agir rapidement.
Le supplice de Relmyer était sans fin.
— Il est peut-être déjà trop tard.
— Je ne pense pas. Il serait très risqué d’enlever à nouveau un jeune de Lesdorf. Deux disparitions aussi proches attireraient l’attention.
— Plusieurs de mes hussards surveillent les orphelinats des environs et sauraient le repérer.
— Non, il va chercher quelqu’un ailleurs. Or il doit tout de même lui falloir plusieurs jours pour repérer une victime potentielle et pour gagner sa confiance. Mais le temps joue contre nous.
CHAPITRE XVII
Les jours passaient ; la routine militaire s’installait. On en aurait « presque » oublié que l’on
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