Chasse au loup
incontestablement du charme. Ses cheveux bruns soulignaient la pâleur de son teint. Son visage – nez étroit, fins sourcils et traits déliés – entraînait les regards dans son sillage. À cette vision séduisante s’en superposait une autre, subjective, peut-être mensongère, peut-être pertinente. Il s’agissait de cette impression déroutante de force et de fragilité. Ce paradoxe, énervant comme un méli-mélo de fils impossibles à dénouer, s’imposait à l’esprit de Margont. Celui-ci se demandait s’il était le seul à le ressentir. Elle s’approchait des Autrichiens comme des Français, frémissant devant l’horreur des mutilations. Elle leur parlait, mais tous, inlassablement, secouaient la tête. Elle s’arrêta longuement, indécise, devant un soldat de la Landwehr, la milice autrichienne, dont la tête n’était plus qu’un enroulement de bandages et l’uniforme gris un amalgame de charpies sanglantes. Comme il se montrait sourd à ses questions – à moins qu’il ne fût mort –, elle dut se contenter d’examiner ses mains et finit par s’éloigner. Elle répétait les mêmes phrases, tantôt en autrichien, tantôt en français avec un léger accent.
— Je cherche un jeune Autrichien, Wilhelm Gurtz. Il a seize ans. Il est très blond et un peu fort. Il s’est peut-être engagé dans l’armée autrichienne, alors il est possible qu’il soit ici.
Elle s’exprimait avec beaucoup de sang-froid en dépit de la vue de ces corps martyrisés et du poids de ces regards posés sur elle. Margont fut envahi par un désarroi teinté de jalousie. Il était blessé, mais aucune femme n’avait de raison de le chercher. L’Autrichienne s’engouffra dans un bois où l’on comptait plus d’hommes écharpés que de troncs. Un cuirassier lui fit signe du bras. Sa bouche saignait, ornant sa grosse moustache rousse d’une mousse écarlate.
— La soeur charmante que voilà !
L’Autrichienne secoua la tête.
— Je ne suis qu’une amie. Il n’a plus de famille, il est orphelin.
— Moi aussi, je suis orphelin ! annonça joyeusement un voltigeur aux mains pansées. Et je n’ai pas d’amie !
Margont arriva sur ces entrefaites. Il s’inclina courtoisement.
— Mademoiselle, je me présente : capitaine Margont, 18 e régiment d’infanterie de ligne. Peut-être accepteriez-vous mon aide pour vos recherches ?
Trop chevaleresque : la jeune femme réprima un sourire. Elle l’examina brièvement, tentant d’évaluer si elle pouvait lui faire confiance.
— Avec plaisir. Mon nom est Luise Mitterburg. Savez-vous où il y a d’autres prisonniers et d’autres blessés ?
Partout, faillit répondre Margont.
— Suivons le rivage, déclara-t-il.
Le voltigeur oublié les regarda s’éloigner. Ça, pour voltiger, il voltigeait : on l’expédiait bien trop souvent en première ligne à son goût.
— Les belles pour les officiers, les donzelles pour les troupiers et le malheur pour les voltigeurs, conclut-il.
Deux personnes accompagnaient Luise. Une vieille dame renfrognée et vêtue de noir et un domestique âgé. Luise oscillait entre découragement et obstination.
— J’ai passé une partie de mon enfance dans un orphelinat, expliqua-t-elle spontanément. Je suis très liée à cet établissement, comme vous l’imaginez, bien que j’aie eu le bonheur d’être adoptée. L’un des pensionnaires, Wilhelm Gurtz, un adolescent, a disparu voici trois jours. Nous le cherchons partout. Peut-être s’est-il enrôlé dans un régiment de volontaires sur un coup de tête ! Il faut absolument le retrouver.
Sa voix s’éteignit presque en prononçant cette dernière phrase. Mais ses yeux restaient secs. Margont demanda :
— À quoi ressemble-t-il, votre...
— Plutôt gros, avec des joues pleines. La solitude et la tristesse le poussent à manger. Blond paille, tassé sur lui-même, les jambes arquées, la démarche lente. Des yeux très bleus. Il paraît plus jeune que son âge. On ne le prendrait quand même pas dans un régiment... Ah, bien sûr que si ! Les régiments acceptent tout le monde Bientôt, on composera des bataillons avec des vieillards, et des enfants.
C’était déjà le cas, en fait. Quant à ce qu’il en était de la limite d’âge inférieure... Dès dix ans, on pouvait être enfant de troupe et accompagner une compagnie, à quatorze, jouer dans la musique régimentaire et, à seize, s’enrôler comme combattant.
— Eh bien,
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