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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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d’aller porter
leur contemplation et même leur curiosité à ce témoin d’un ciel oublié.
    Mais au
préalable, j’avais voulu que l’œuvre d’art fût dévoilée pour Aigremoine
d’abord. J’avais retiré le paravent derrière lequel s’élaborait la reconstitution
de la Mer. J’avais savamment mis celle-ci en abyme pour que le mystère demeurât
total. Elle luisait dans la pénombre de quelques candélabres çà et là disposés.
    Tous les
compagnons étaient là. Ils s’étaient mis un peu propres pour la
circonstance. Entendez qu’outre leur costume de mariage, ils avaient arboré à
leurs cous ravinés le cordon qui nous sert à nous autres Provençaux à faire
cérémonie. Ils avaient aussi amené leurs épouses car ils étaient fiers du
travail accompli et de son résultat.
    Aigremoine
ne pouvait déjà plus quitter sa chambre. Les compagnons montèrent la chaise à
porteurs qui ornait le grand vestibule et descendirent la malade triomphalement
jusqu’au seuil.
    Ils
s’alignèrent de leur plein gré devant la Mer et mirent chapeau bas.
    Notre
simplicité à tous était garante de la solennité de l’instant.
    J’étais
aux pieds d’Aigremoine qu’on avait extraite de la chaise et installée dans un
fauteuil devant l’œuvre d’art surgie du néant.
    Je tins à
genoux et à voix basse devant mon épouse bien-aimée le plus long et le plus
beau discours persuasif sur la foi qu’incroyant ait jamais prononcé. C’était un
long poème d’amour en faveur de l’éternité de l’âme. Cinq fois je lui lus la
ligne où dom Venteyrol au XIV e siècle loue en la Mer la preuve irréfutable
de la véracité des Saintes Ecritures. Je le lisais avec un peu d’emphase, tel
qu’il était écrit en latin sur le parchemin.
    Elle eut
un doux sourire.
    — C’est
un homme qui a exprimé ça, dit-elle, et même s’il y a sept cents ans… c’est
court sept cents ans ! Que pouvait-il en savoir ?
    Elle posa
sur la mienne sa main décharnée et elle me dit :
    — Vous
savez, Félicien, je vous suis plus que reconnaissante pour toutes vos gentilles
attentions, mais…
    Elle
secoua la tête et me chuchota à l’oreille.
    — La
hideur de la mort me masque le visage de Dieu.
    Elle fit
signe aux ferronniers qu’elle voulait remonter chez elle.
    Ma
bataille était livrée et perdue. Si Aigremoine ne se laissait pas convaincre
par ce chef-d’œuvre surgi du néant qu’elle pouvait caresser et toucher du doigt
et qui avait traversé les temps bibliques pour être enlevé du Temple par les
croisés, être enseveli pendant sept siècles sous un arbre, être vomi par un
hoquet de la terre et nous être restitué aujourd’hui afin qu’elle le vît, si
tout cela ne suffisait pas, c’est que sa raison était plus forte que la peur
qu’elle m’avait une nuit exprimée. À l’espoir insensé, elle préférait
l’anéantissement.
    J’avais envie de m’incliner bien bas devant cet être d’exception ou de
m’agenouiller devant elle. J’étais plein d’admiration autant que d’amour car je
n’oubliais pas qu’en même temps qu’elle niait toute consolation possible, la
douleur physique irrésistible la consumait et la minait.
     
    À mon
invitation de mécène, il ne vint que quelques femmes et peu d’hommes. La
condamnation en chaire de mon invention avait porté ses fruits. Les fidèles
n’osèrent pas.
    Julie et moi n’avions que nos armes pour lutter avec Aigremoine. Nos
deux amours contre la mort conjuguées ne pouvaient pas se mesurer avec l’image
que chaque matin sa psyché lui renvoyait de son visage à moitié détruit
autrefois et dont la maladie achevait d’effacer la beauté. Nous y mettions
pourtant tout notre cœur. Il n’y avait qu’en jouissant qu’elle oubliait son
cancer.
     
    Lettre
posthume de Félicien Brédannes, comte de Gaussan, à Tiphaine de Ker-Maria,
pianiste.
    À vous,
madame, que j’ai si souvent prise à témoin et interpellée au cours de cette
longue narration ; vous qui êtes protégée par la froide gloire aux bras
intangibles de tout vieillissement à chaque fois que vous saluez les salles
combles qui vous acclament ; vous qui êtes si lointaine et que j’ai aimée
autrefois, sans être payé de retour, c’est à vous que je reviens, pour peu de
temps, maintenant que je suis seul. Si vous avez, madame, accordé jusque-là
quelque crédit à mon récit, vous me connaissez à fond et vous savez qu’au creux
de mon âme libertine se cache la

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