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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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signifier le
grand doute, le grand désarroi où j’étais.
    Le Paul
hocha la tête sans répondre. C’était sa commisération à lui.
    J’avais
fait acheter chez Monnier cinq grandes bâches bleues pour dissimuler le tertre
de l’arbre déraciné. Dès que Paul vit le désastre de l’arbre il
s’exclama :
    — Oh
fan de chichourle !
    — Aide-moi !
lui dis-je.
    Je
commençai à enrouler les bâches.
    — Regarde !
Regarde bien, lui dis-je.
    On était
au milieu de l’après-midi en juin, le soleil dorait les décombres et tous les
détails de ma trouvaille étaient bien visibles.
    — Oh
fan de garce ! s’exclama le Tempier.
    Il
enjamba la plus grosse racine. Il ne faisait plus attention à moi. À mains
nues, il se mit à dégager le sol autour du premier quadrige, celui qui était le
plus apparent, la moitié du corps des taureaux comme cabrés, issant
littéralement la tête et le garrot vers le ciel supposé. Il me sembla voir
leurs naseaux fumer. De ses grosses mains informes rendues caressantes par
l’émotion, Tempier tâtait les encolures, les cornes, passait les doigts autour
des yeux bombés.
    — C’est
du bronze ! s’exclama-t-il. J’ai jamais rien vu de plus beau !
    Il
s’arc-bouta pour s’efforcer d’arracher le quadrige du sol mais celui-ci était
solidement embossé dans les racines sous-jacentes.
    — Où
as-tu trouvé ça ? me dit-il sévèrement.
    Je
haussai les épaules.
    — Mais
là ! Là où tu le vois ! C’est l’arbre en tombant !
    Nous
étions aussi stupides l’un que l’autre, devant ce témoin d’un autre âge que
personne de vivant n’avait jamais vu avant nous.
    Il sortit
du trou, se secoua les mains, mais il gardait les yeux rivés sur les vestiges.
Quand il se fut bien nettoyé les doigts, il me les tendit pour serrer les miens.
    — Merci !
dit-il. Merci Féli, d’avoir pensé à moi !
    Il
tremblait d’exaltation. Je retrouvais bien là mon Paul des feux follets. À
soixante-trois ans qu’il avait alors et père de famille et capitaine des
pompiers comme son père, la recherche de l’indicible était bien toujours
l’essentiel de sa vie.
    J’avais
pris la précaution de me munir du cartulaire et de la traduction que je lui
tendis. En même temps, je lui récitais la phrase en latin :
    —  Testimonium
quod infirmari non podest Sanctorum Scripturarum fidei.
    — Et
qu’est-ce que tu attends de moi ? me dit-il.
    J’étais
en train et il m’aidait à dérouler les bâches sur le trou. Je répondis à sa
question par une autre.
    — Tu
crois en Dieu ?
    — Ma
foi ! dit-il.
    Il était
désarçonné par l’interrogation.
    — Ma
foi ! répétait-il, comme tu sais, puisque nous l’avons faite ensemble,
j’ai fait ma première communion, j’ai été baptise…
    Il se mit
à rigoler.
    — J’y
penserai peut-être quand je mourrai mais pour le moment j’ai trop de
travail !
    Je
m’assis sur l’une des énormes racines et lui fis place et signe de s’asseoir
près de moi. C’était une confession que j’allais faire à mon ami Paul :
    — Tu
vois, lui dis-je, ma femme va mourir, elle a trente-cinq ans. Pour lui donner
courage j’ai fait semblant d’être frappé par la foi.
    — Je
sais. Tout le monde en parle de ta conversion.
    — Je
pensais l’entraîner mais jusqu’à maintenant…
    — Ne
crois pas qui veut ! dit-il.
    — Alors
tu as vu ? « Une preuve irréfutable de la véracité des Saintes
Écritures. » Je me suis dit que si elle voyait ça entier devant elle,
peut-être que ça lui ferait un choc et que la foi lui viendrait.
    — En
somme tu veux que je te recouse les morceaux ? Je hochai la tête en signe
d’assentiment.
    — Tu
sais, j’ai beaucoup de travail en ce moment…
    — Aigremoine
n’en a plus guère que pour six mois…
    Nous
étions assis tous deux sur cette racine de l’arbre qui avait éclaté aux deux
extrémités. Chaque blessure pleurait encore des larmes de sève qui gouttaient
au bord des échardes.
    Paul me
prit à l’embrassette, fraternellement.
    — Allez
ça va ! Je te l’aurais fait de toute façon parce que j’ai une idée de ce
que c’est.
    Il se
gratta la tête et se mit à psalmodier tout haut.
    — Voyons :
le Carmagnoli de Vachères, le Jules Bourdin d’Oraison, le Théophile Nalin de
Bourne…
    À mesure
qu’il ânonnait ces noms bizarres, il les comptait sur ses gros doigts en les
mouillant à chaque énumération.
    — …
le Gaétan Gaubert

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