Claude, empereur malgré lui
ordonnât : « Obéis à un tel jusqu’à ce que je te rappelle. » L’animal respectait alors les injonctions de son maître mais le regardait s’éloigner d’un air malheureux. Le petit Hérode, je ne sais trop comment, réussit, un jour où le chien avait soif, à lui faire boire toute une jatte d’un vin très fort, si bien que l’animal était aussi éméché que n’importe quel vieux soldat à la parade le jour de sa démobilisation. Puis il lui pendit une cloche de chèvre au cou, lui peignit la queue en jaune safran et les pattes et le museau en rouge vif, accrocha des vessies de porc à ses pieds et les ailes d’une oie sur ses épaules, pour le lâcher ensuite dans la cour du palais. Quand Auguste qui cherchait son chien l’appela, « Typhon, Typhon, où es-tu ? » et que cette créature extraordinaire franchit le portail en vacillant pour se diriger vers lui, ce fut certainement un des moments les plus cocasses de ce qu’on appelle l’Âge d’Or de l’histoire romaine. Mais cet incident s’était produit durant les Saturnales et Auguste dut ravaler sa mauvaise humeur. Hérode eut ensuite un serpent apprivoisé à qui il apprit à attraper des souris et qu’il gardait sous sa tunique durant les heures de classe pour amuser ses camarades quand le maître avait le dos tourné. Il dissipait tellement les autres qu’on finit par l’envoyer étudier avec moi sous la tutelle de mon vieux précepteur Athénodore de Tarse. Il s’essaya, bien entendu, à ses farces d’écolier sur Athénodore, mais Athénodore les prit avec tant de bonhomie et je les désapprouvais si violemment, dans mon affection pour Athénodore, qu’il cessa rapidement. Hérode était un garçon brillant avec une mémoire exceptionnelle et un don certain pour les langues.
— Hérode, lui déclara un jour Athénodore, le temps viendra où tu seras appelé à occuper la position la plus éminente sur ta terre natale. Tu dois vivre chaque moment de ta jeunesse en prévision de cet appel. Avec tes dons, tu as la possibilité de devenir un monarque aussi puissant que ton grand-père Hérode.
— Tout ça est bien joli, Athénodore, répliqua Hérode, mais j’ai une famille malfaisante et fort vaste. Tu ne peux pas imaginer pareille bande de scélérats, des coquins comme tu n’en rencontrerais pas durant toute une année de voyage ; et depuis la mort de mon grand - père il y a huit ans, ils ne se sont pas le moins du monde améliorés, m’a-t-on dit. Si je retourne dans mon pays, je ne peux pas espérer vivre plus de six mois. (C’est ce que disait mon pauvre père quand il faisait ses études ici à Rome dans la maison d’Asinius Pollion. Mon oncle Alexandre qui était avec lui en disait autant. Et ils avaient raison.) Mon oncle le roi de Judée est la réincarnation du vieil Hérode, mais infâme au lieu d’être magnifique dans ses vices ; et mes oncles Philippe et Antipas sont de vrais renards.
— La vertu en soi est à l’épreuve de tous les vices, mon petit prince, répliqua Athénodore. Rappelle-toi que la nation juive est plus fanatiquement éprise de vertu que n’importe quelle autre nation du monde : si tu te montres vertueux, ils seront tous derrière toi comme un seul homme.
Hérode répondit :
— La vertu juive ne s’accorde guère avec la vertu gréco - romaine, telle que tu l’enseignes, Athénodore. Mais merci grandement de tes paroles prophétiques. Tu peux compter sur moi ; une fois roi, je serai véritablement un bon roi ; mais tant que je n’occuperai pas le trône, je ne peux pas me permettre d’être plus vertueux que le reste de ma famille.
Quant au caractère d’Hérode, qu’en dirai-je ? La majorité des hommes – d’après mon expérience, – ne sont ni vertueux ni pervers, ni bons ni mauvais. Ils sont un mélange des deux et nuls le plus souvent, d’une ignoble médiocrité. Mais certains demeurent toujours fidèles à un trait de caractère extrême : ce sont ceux qui laissent la plus forte empreinte sur l’histoire et je les diviserais en quatre catégories. Il y a tout d’abord les vauriens au cœur de pierre, dont Macron, le commandant des gardes sous les règnes de Tibère et de Caligula, était un exemple frappant. Viennent ensuite les vertueux, également au cœur de pierre, dont Caton le Censeur, pour moi objet d’épouvante, fut lui aussi un exemple frappant. La troisième catégorie se compose d’hommes
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