Clio Kelly et l'éveil de la gardienne
prudente.
La gorge sèche, elle jeta un nouveau coup d’œil à ses brebis. Elles étaient toutes blotties les unes contre les autres, mais le calme était revenu. Ses muscles se relâchèrent quelque peu, puis totalement quand les animaux retournèrent à leur repas.
Alors qu’elle baissait son arme de fortune, elle se rendit compte qu’elle avait cessé de respirer. La gorge nouée, elle s’empara de sa gourde et la vida aux trois-quarts. Son cœur reprenait petit à petit un rythme normal. Jeanne commençait à regretter de s’être autant éloignée du pâturage habituel. Mais le souvenir des moqueries de ses amis réveilla le goût amer de la rancune et elle renonça à rebrousser chemin.
Ses pensées se tournèrent vers le dimanche qui l’attendait. Lire, écrire, quelle aubaine pour elle qui n'était rien d'autre qu'une simple fille de ferme ! Bien que ses lectures ne se contenteraient que de la Bible, elle pourrait se gorger de la connaissance des Saintes Écritures. Allongée dans l’herbe, elle croisa les bras derrière sa tête ; une feuille entre les lèvres.
Le calme fut soudain brisé par un sifflement strident, suivi d’un étrange hurlement. Elle se redressa brusquement. Dans sa précipitation, elle s’emmêla les jambes dans ses jupes et tomba à la renverse.
De nouveau, son attention fut attirée par les cris paniqués des moutons qui cette fois-ci, s'élancèrent chacun dans une direction différente.
Son sang se glaça. Elle ne pouvait se permettre de perdre la moindre bête, sa famille était trop pauvre pour s’offrir ce luxe. Alors qu'elle s'apprêtait à s'élancer à leur poursuite, un mouvement furtif dans les hautes herbes la stoppa dans son élan. Elle ne parvenait pas à distinguer l’être, dissimulé dans la noirceur de la végétation. Ce qui effrayait son bétail venait de la forêt. La chose remua légèrement. Bien qu’elle ne puisse clairement la voir, elle devinait ses contours.
C'était trop grand et trop gros pour être un loup ! Une sueur froide coula le long de son dos, ses tempes battaient, elle ne pouvait rester sur place ! Il fallait qu’elle coure si elle tenait à la vie.
Alors qu’elle s’élançait pour rejoindre les pâturages, elle fut heurtée par derrière, avec une telle violence qu’elle s’en alla rouler au sol. La douleur lui fit monter les larmes aux yeux. Le nez dans l’herbe, le goût de celle-ci mêlé à la terre pénétra dans sa bouche et lui donna la nausée. Elle se figea en percevant une présence au-dessus d’elle.
Les pulsations dans sa poitrine résonnèrent comme des tambours à ses oreilles lorsqu’un souffle brûlant lui parcourut l’échine. Celui-ci n’appartenait en rien à un humain, ni à un animal qu’elle connaissait. Prise de tremblements, elle se tourna lentement.
Son cœur rata un battement quand son regard rencontra deux immenses yeux jaunes. Ne pouvant se détacher de ces iris, elle ne vit pas la gueule de crocs aiguisés qui lui transperça la gorge. Un flot de sang chaud coula le long de son corps. Étouffée par son fluide de vie, aucun son ne put sortir de ses lèvres lorsque le monstre entreprit de la dévorer.
C'est ainsi que mourut la première victime de l’étrange créature, que l'histoire nomma ensuite « Bête du Gévaudan ».
Le 21 janvier, 9h30, journal de l’Opéra, de nos jours
Baillant à s’en décrocher la mâchoire, Morgan avait l’impression qu’il ne s’en sortirait jamais. Posant devant lui le stylo qu’il tenait en main, il massa son poignet endolori. Nicolas l’avait arraché des bras de Morphée de bonne heure et ordonné de venir au journal le plus tôt possible…
Le réveil qui trônait sur sa table de nuit n’indiquait que cinq heures du matin et le jeune homme ne put s’empêcher de pester, mais les cris de son patron qui lui crevaient les tympans à travers le combiné le firent se lever sans discuter davantage.
Il tomba plus qu’il ne sortit de son lit. Que pouvait lui vouloir Nicolas ? Après un coup d’œil meurtrier à l’horloge du portable, il se dit qu’il devait certainement s’agir d’une nouvelle affaire pour être réveillé de la sorte
Une série de jurons perturba ses pensées quand il sentit l’eau devenir glacée en jaillissant du pommeau de la douche. Au bas de l’escalier, Ellen, l’une des bonnes de la maison qui lui avait servi de nourrice, lui cria au même moment qu’il y avait un problème avec l’eau chaude.
—
Weitere Kostenlose Bücher