Clio Kelly et l'éveil de la gardienne
Le 30 juin 1764. Nord de la France, entre Aubrac et Margeride.
Il faisait très chaud par cette belle journée d’été. Le soleil brillait et une légère brise rafraîchissait les petits bergers qui gardaient leurs troupeaux. Ni les pasteurs, ni personne d’autre, ne se doutait que ce splendide après-midi allait s’achever en un bain de sang.
Originaire du village d’Hubacs, près de la Commune de Saint-Étienne de Limoges, une jeune fille quittait la demeure de ses parents. Jeanne Boulet, quatorze ans, se distinguait par sa beauté et sa vivacité. De son bonnet de coton blanc s’échappaient de longues mèches d’un brun doux et brillant. Dans ses immenses yeux verts, on pouvait lire la soif de vivre et l’innocence que seules les adolescentes de cet âge possèdent encore.
Un sourire sur les lèvres, un bâton dans une main et un panier dans l’autre, elle s’en allait chercher son troupeau pour le conduire aux pâturages. Un peu plus tôt dans la journée, le prêtre de la commune était venu trouver ses parents et leur avait annoncé qu’il ferait faire sa première communion à leur fille au printemps prochain.
Il lui apprendrait aussi à lire et à écrire, ce qui pour quelqu’un de sa condition était rare et lui permettrait de trouver une place de bonne dans l’une des grandes maisons de la région. Ces faits la remplissaient d’une fierté qu’elle ne cachait pas.
Dans sa bourriche, elle avait emporté la Bible qu’elle possédait, bien qu’elle ne puisse encore la lire. Le livre lui apportait une paix intérieure et l’emplissait de bonheur.
Allant jusqu’à la bergerie, elle fit joyeusement sortir son bétail. De là, elle emprunta la route qui passait devant le vieux moulin où ses frères aînés travaillaient. Alors que ceux-ci faisaient des allers-retours< les bras chargés de sacs de farine, elle leur adressa un signe de la main et continua son chemin.
Comme à son habitude, elle conduisit ses bêtes sur les pâturages où tous les enfants de son âge se réunissaient. Quand elle arriva, elle trouva ses compagnons courant à travers champs. Leurs jeux les faisaient plonger dans l'herbe verte et grasse, dont la douce odeur leur emplissait les narines. Tandis que les animaux partaient en quête de nourriture, elle rejoignit ses amis.
Vers midi, alors qu’ils se réunissaient pour diviser leur maigre repas, une dispute éclata entre les plus âgés. Furieuse qu’ils ne partagent pas sa joie au sujet des promesses du prêtre, Jeanne se leva. Rassemblant son bétail, elle décida d’aller le faire paître plus loin, aux abords de la forêt du Mont Mouchet.
Une des premières règles que les parents avaient apprise à leurs progénitures, c’était bien de ne jamais pénétrer dans cette épaisse forêt où il était si facile de s’égarer. Elle devait donc veiller à ce qu’aucune des bêtes n’échappe à son attention et ne disparaisse dans les bois.
L’endroit était désert et Jeanne savait que les autres ne la suivraient pas. La jalousie qui les dévorait la rendait triste, mais elle refusait de rester ignorante pour épargner leur vanité. Retirant son tablier, elle l’étala au sol et s’allongea dessus. Une fois confortablement installée, elle plongea la main dans son panier et en sortit la petite Bible. Le livre était si lourd entre ses doigts fins ! Elle ne pouvait résister à l’envie de laisser ses ongles glisser sur la couverture.
Au moment où un vent doux se levait, une agitation soudaine frappa les animaux qui se mirent à bêler bruyamment, au point de soustraire Jeanne à la contemplation du bréviaire. Se redressant, elle fronça les sourcils et regarda autour d’elle.
Le calme régnait dans la prairie, seul le bruit du vent se mêlant aux feuilles des arbres de la forêt voisine brisait le silence pesant. Jeanne abandonna son livre et s’empara de son bâton. Les moutons avaient-ils senti une odeur ?
Sa première pensée alla vers les loups. En Gévaudan, ils étaient nombreux et n’hésitaient pas à s’attaquer au bétail, mais rarement en présence du berger ! Généralement, ces animaux étaient craintifs vis-à-vis de l’homme, et les gens du pays savaient comment s’en débarrasser ; cependant ses mains se resserrèrent d'instinct sur le bout de bois. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale, la peur lui broya l’estomac. Elle ne distinguait rien d’anormal mais son intuition lui conseillait d’être
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