Clio Kelly et l'éveil de la gardienne
patron en allumant sa cigarette et en tirant dessus. Tu es son partenaire et elle passe beaucoup plus de temps avec toi qu’avec moi !
— Non, je n’ai rien constaté, répondit Morgan, fort intrigué.
— Je la trouve préoccupée ces temps-ci, sur les nerfs et tendue depuis qu’elle a reçu cette lettre, il y a deux semaines, par le courrier des lecteurs.
Morgan ne répondit pas. Clio était une personne lunatique, renfermée lorsqu’il s’agissait de parler de sa vie privée. Bien que d’un naturel charmant, la jeune femme se montrait pourtant farouche avec lui. Même s’il n’en avait rien laissé paraître, le photographe réalisa qu’effectivement, il avait remarqué récemment un changement d’attitude chez Clio.
Deux semaines plus tôt, elle avait reçu une lettre qui n’avait pas été postée et, en l’ouvrant, elle avait pâli à sa lecture. Mais lorsqu’il l’avait interrogée sur la provenance de la lettre ainsi que sur son contenu, Clio lui avait sèchement ordonné de se mêler de ses affaires.
Dans les jours qui avaient suivi, Morgan ne l’avait croisée que deux ou trois fois alors que leurs bureaux étaient côte à côte. Il avait bien tenté de percer le secret qui entourait sa coéquipière mais il s’était heurté à un mur de béton. S’absentant de plus en plus souvent, ils n’échangeaient désormais que de courtes phrases. Il avait cependant mis son attitude sur le compte de sa froideur et sa distance naturelle.
Pourtant, lors de leur première enquête, l’affaire d’Athènes, il pensait avoir un peu brisé la carapace. Mais non, Clio restait un véritable mystère pour lui.
— Bon, puisque tu n’es au courant de rien, tu ne m’es d’aucune utilité !
— Je te remercie ! C’est agréable à entendre ! rétorqua Morgan, piqué au vif par la réaction de son supérieur.
— Tiens, j’ai un travail pour toi, répondit-il en dévoilant une rangée de dents régulières, d’un blanc éclatant.
Ouvrant l’une des armoires coulissantes, le directeur sortit un dossier assez poussiéreux et le laissa tomber avec un bruit sourd devant Morgan. Prenant une voix de velours, il lui dit :
— Voici le dossier de l’affaire Papin : à l’occasion de la sortie du film de Jean-Pierre Denis, « Les Blessures Assassines », j’ai demandé à Mathilde de nous écrire un papier. Je veux que tu te rendes sur les lieux du crime pour prendre des photos, puis nous ferons un montage entre les anciennes et les nouvelles.
— Pourquoi moi ? C’est Dan le partenaire de Mathilde !
— Dan est en congé. Je crois que la grossesse de son épouse ne se passe pas bien et il préfère rester avec elle. Allez ! Au boulot !
Le jetant dehors, il lui claqua littéralement la porte au nez. Celui-ci ne prit pas ombrage du comportement de son patron.
Il repensa un instant à sa collègue. Clio Kelly était fille de ministre et Nicolas était toujours soucieux de sa sécurité car elle refusait farouchement la protection rapprochée voulue par son père. Elle avait le don de s’attirer les pires ennuis mais restait l’une des meilleures journalistes qu’il avait formée lui-même et à laquelle il était le plus attaché.
Morgan regarda la pendule au-dessus de la porte : celle-ci indiquait 9h30 et il n’arriva pas à croire qu’il était au journal depuis trois heures trente. Replongeant dans le dossier, il lut le résumé de l’affaire.
Cela s’était passé le jeudi 2 février 1933, vers 19h30, au six rue Bruyère au Mans : les sœurs Papin avaient assassiné leur patronne et sa fille. Elles avaient été retrouvées serrées l’une contre l’autre vêtues de mauvais peignoirs, attendant l’arrivée de la police.
Un soupir de résignation s’échappa de ses lèvres. Morgan avait espéré voir Clio avant de partir dans la Sarthe où il devait commencer son enquête. Sa veste sur les épaules, il jeta un dernier coup d'œil vers le bureau voisin, imaginant ce sourire qui lui réchauffait le cœur.
Morgan connaissait la jeune femme depuis un peu plus de trois ans. Il l’avait rencontrée à l’un des festivals de la Fête de la musique, et ils s’étaient revus un peu plus tard, alors qu’ils enquêtaient tous les deux sur la même affaire. À cette époque, Morgan travaillait pour un autre journal, « le Libertin », et sans l’avoir voulu, il s’était montré maladroit et arrogant avec elle.
Un an plus tard, Morgan avait tenté sa chance au
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